MGR JOSEPH DERUAZ

Présentation

S725 Université de Genève - Notice sur sa grandeur

FRIBOURG - Imprimerie de l’oeuvre de Saint-Paul - 1912
Evéché de Lausanne et Genève
Fribourg, le 27 février 1912

A Monsieur l’abbé Joseph Genoud
Professeur au Collège St-Michel - Fribourg

MONSIEUR LE PROFESSEUR,

Vous me demandez de présenter au public la notice biographique que vous avez consacrée à Mgr Deruaz, évêque de Lausanne et Genève.
Je m’empresse d’acquiescer à votre désir et de remplir ce que je considère comme un pieux devoir.
Je vous félicite d’avoir retracé brièvement la sainte et longue carrière de mon très vénéré prédécesseur. Vous avez vécu plusieurs années dans l’intimité de l’excellent prélat, vous avez entendu ses confidences; à Lausanne et à Fribourg, vous avez été témoin de sa profonde piété, de ses éminentes vertus sacerdotales, de ses travaux apostoliques. Aussi étiez-vous parfaitement qualifié pour devenir l’historien de cet homme de Dieu. Je n’ai pas besoin d’ajouter que, ici comme en vos autres écrits, vous possédez l’art d’exposer agréablement les faits en un style limpide, élégant, savoureux.
Cette biographie d’un évêque si pieux, si digne, si humble, si bon, si charitable et si patient est pour moi comme un miroir où se reflètent mes obligations épiscopales. Le vénérable clergé du diocèse y trouvera un beau modèle de vie sacerdotale. Les fidèles seront heureux de revoir, a travers vos pages, la figure aimée de leur Père d’hier, de s’édifier au récit de ses labeurs et de ses souffrances, de s’inspirer de ses exemples pour remplir consciencieusement leurs devoirs d’état et vivre une vie vraiment chrétienne et surnaturelle.
C’est vous dire, Monsieur le Professeur, que votre opuscule n’est pas seulement un touchant témoignage de piété filiale; il est encore une bonne oeuvre que les âmes sauront mettre à profit.
Agréez, Monsieur le Professeur, l’assurance de mon affectueux dévouement en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
André BOVET
Evêque de Lausanne et Genève

PREFACE

A l’évêque que le diocèse de Lausanne et Genève a perdu le 26 septembre 1911 ne devra s’applique la sombre parole d’un penseur: Le vrai tombeau des morts,, c’est l’oubli des vivants.
Non, Mgr Deruaz ne sera pas oublié, car sa carrière épiscopale d’une vingtaine d’années a provoqué le respect général et largement profité aux prêtres et aux fidèles confiées à sa sollicitude. Avec autant de tact que de succès il a travaillé à l’amélioration du sort des catholiques genevois, à l’extension de notre culte dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, au rapprochement des esprits et des coeurs parmi nos populations fribourgeoises. Oui, elle mérite d’être transmise à la postérité la mémoire de cette homme de bien dans toute la force du terme, de ce prêtre à la piété profonde et au zèle infatigable, de cet évêque à la prudence consommée et au dévouement constant à l’égard des intérêts sacrés du diocèse.

Quels reproches pourrait-on bien adresser à ce prélat à titre de prétextes pour ne plus y penser ?

D’avoir été comme dépaysé dans la ville épiscopale, lui originaire d’un autre canton et depuis si longtemps en fonctions dans les contrées de la Diaspora ? Mais dès son enfance et plus tard dans tous les postes qu’il occupa, il entretint assez de relations avec des paroisses exclusivement catholiques pour acquérir l’expérience nécessaire dans l’exercice de ses nouveaux devoirs, et, d’autre part, pour un diocèse formés de quatre cantons d’une mentalité si variée, à une heure surtout de discussions ou de malentendus, c’est plutôt une faveur qu’un inconvénient d’être dirigé par un guide étranger aux petites luttes régionales et neutre dans les problèmes secondaires du moment.

Se plaindra-t-on de ce qu’il ait accepté si tard. à l’âge de 65 ans, la crosse et la mitre ? Mais de ce retard, il n’est point responsable, car c’était encore trop tôt pour lui, avant tout désireux de finir sa carrière au milieu de ses chers paroissiens de Lausanne.

Ou bien oserait-on le critiquer, parce qu’il est resté à son poste d’honneur en dépit de la vieillesse et des infirmités ? Mais il redisait avec un coeur tout sacerdotal: La Pape m’a fait monter sur ce siège épiscopal, le Pape peut m’en faire descendre: que sa volonté s’accomplisse !

Puis, pour un diocèse comme pour l’Eglise, n’est-ce point une gloire et un bienfait de subir l’influence de la sagesse d’un vieillard ? N’a-t-on pas dit avec raison que les vieillards à la blanche couronnes sont une bénédiction pour les nations ? Et le Livre des Proverbes n’est-il pas formel sur ce point: La vieillesse est une couronne d’honneur qu’on ne trouve que sur les chemins de la justice: Corona dignitatis senectus quoe in viis justitioe reperietur ? (XVI,31.)

Mais si Mgr Deruaz, malgré les fatigues de l’âge et les épreuves de la cécité, est demeuré indissolublement attaché à l’Eglise de Lausanne et Genève, celle-ci voudra s’en souvenir avec une piété filiale et une affection durable. Or, pour l’aider à bien remplir un tel devoir si cher à tout coeur sensible et reconnaissant, nous venons lui offrir cette Notice, écrite d’une main rapide, mais tout inspirée par un sentiment de gratitude et de vénération envers celui qui guida nos premiers pas dans la voie du sacerdoce. La charité du lecteur excusera notre hardiesse: les sollicitations de plusieurs confrères et surtout de ceux qui ont vécu longtemps dans l’intimité de Sa Grandeur, l’empressement de quelques amis à nous renseigner sur divers points intéressants, puis, plus récemment, les encouragements du digne successeur de Mgr Deruaz, voilà ce qui nous a déterminé à publier promptement cette courte biographie.

C’est pour la dernière fois, sans doute, que nous parlons de ce Pasteur bien-aimé. La première fois que l’occasion nous fut offerte de rédiger quelques pages à son sujet, ce fut en 1891, peu de mois après son arrivée à Fribourg. A la pensée de son humilité, il nous parut convenable de lui soumettre notre travail. “C’est bien flatteur”, nous dit-il; toutefois, il se résigna et pardonna, mais en considération surtout des louanges décernées à sa mère: ce qui le concernait ne l’intéressait pas autant.

Inséré dans l’Almanach catholique de 1892, cet article s’achevait par le commentaire de la belle devise: In viam pacis, et par l’expression de cette pensée: “Tout en vue de la paix et par des moyens pacifiques, voilà un superbe gage d’une ère de tranquillité et de bonheur pour le diocèse de Lausanne et Genève.”

Cette facile prédiction a été réalisée. Nous avons traversé vingt années de calme, non dans l’inaction et la torpeur, mais dans le développement des oeuvres et l’affermissement de l’esprit de foi et de charité. Ainsi le prouveront aisément ces pages que nous déposons comme un tribut de regrets sur le tombeau de notre pieux évêque et que nous présentons à l’indulgente curiosité de tous ceux qui l’ont connu, estimé et vénéré.

MONSEIGUEUR DERUAZ

EVEQUE DE LAUSANNE ET GENEVE

I. Du berceau à l’autel.

Joseph Deruaz naquit le 13 mai 1826, veille de la Pentecôte, à Choulex, charmant petit village situé près de la rive gauche du Léman, l’une des paroisses savoisiennes annexées au canton de Genève en 1814. Sa famille déjà ancienne y jouissait de la considération qui entoure la simplicité des moeurs patriarcales. Très attachée à la foi des aïeux, elle se distinguait par un sens chrétien fort accentué.

Voilà le milieu si favorable où le jeune Joseph fit sa première éducation sous la surveillance de ses parents et manifesta de bonne heure une vive intelligence et une sincère dévotion. Ceux qui ont eut l’avantage de connaître de près son honorable mère devineront dans quelle atmosphère de solde piété dut s’écouler l’enfance du futur prélat.

Mais ici anticipons sur la marche des événements et transportons-nous aussitôt à la cure de Lausanne, ce qui nous dispensera plus tard de revenir en arrière sur les relations du curé ou de l’évêque avec sa famille.

C’est à Lausanne, en effet, quand déjà s’inclinait vers la tombe cette honorable femme, qu’on pouvait admirer l’union intime et discrète entre ces deux âmes qui rivalisaient de bienveillance et d’affection, conséquence précieuse de lointaines leçons données et reçues au foyer domestiques. A mesure qu’approchait le terme de son existence, Mme Deruaz se plaisait à passer de longues semaines auprès de son fils, comme pour rajeunir les souvenirs de la maison de Choulex et ressusciter quelque chose de la vie d’autrefois. Mais en lui elle voyait surtout le prêtre, le prêtre digne de confiance et de toute estime. A lui elle se plaisait à se confesser, comme une modeste enfant du catéchisme, puis, quand elle ne pouvait se rendre à l’église pour communier, c’est son fils qui lui apportait la sainte Hostie et lui adressait une touchante allocution. Les vicaires, témoins du spectacle de ces belles relations, ne manquaient pas de la féliciter d’avoir un tel enfant. Parfois même, surtout à l’époque de la démission de Mgr Marilley, ils aimaient à redire à cette excellente mère: “Mais votre fils pourrait bien devenir évêque ! - Oh ! non; répliquait-elle; que Dieu l’en préserve ! Il est si humble qu’il ne pourrait pas supporter un tel fardeau: il en mourrait.” La prédiction s’est réalisée, mais heureusement, sans précipitation.

Mme Deruaz mourut dans l’ignorance des hautes destinées de son enfant. Un jour, celui-ci était parti pour le Tessin, laissant dans un état relativement rassurant celle qu’il aimait tant. Le soir, cette fervente chrétienne s’entretint longuement avec l’un des prêtres de la paroisse. Le temps était magnifique, des milliers d’étoiles brillaient au firmament, tout était calme et doux dans la nature; on avait de la peine à se soustraire à ces attraits du monde visible qui parlait tant du monde invisible. Dans le courant de la conversation, Mme Deruaz fit cette confidence: “On m’a proposé aujourd’hui d’aller en pèlerinage aux Ermites avec d’autres catholiques de Lausanne, mais à mon âge il ne faut songer qu’à bien faire les grand pèlerinage de l’éternité.” Elle avait raison, car de la nuit déjà commencée elle ne devait point voir la fin ici-bas: dans la matinée, elle accomplit subitement le suprême voyage, après avoir reçu de l’abbé qui lui causait quelques heures auparavant une rapide onction et une dernière absolution (juillet 1877).

Mais revenons en arrière, après avoir ainsi présenté à nos lecteurs la vénérable mère qui exerça une influence si salutaire sur son enfant de prédilection.

De Choulex le jeune Deruaz se rendit au collège d’Evian. Il s’y distingua par sa bonne conduite, ses talents et ses progrès. Plus tard, il n’oubliera point cette maison qui lui parlait des meilleures années du passé. Pendant un demi-siècle environ, que de fois il y est retourné, heureux d’y retrouver d’anciens condisciples et en particulier son ami M. Granjux, qui fut longtemps le supérieur de cet établissement.

Mais voici l’automne de 1846. C’est alors que M. Deruaz se rendit à Fribourg, où l’avait précédé son compatriote le plus célèbre, le futur évêque et cardinal Mermillod. Il se plaça sous la sage direction des Jésuites pour l’étude de la théologie et sa préparation aux ordres sacrés. Mais peu de mois après se mit à gronder l’orage du Sonderbund. Les séminaristes durent s’éloigner et se disperser.

L’abbé Deruaz partit de notre ville avec son ami Lany, qui sera plus tard archiprêtre de Notre-Dame de Genève (décès 15 décembre 1898). Ils éprouvèrent quelque émotion à Rolle, où ils devaient s’embarquer. En attendant le départ du bateau, ils entrèrent dans une auberge où de nombreux buveurs les accueillirent par un silence glacial. Tous les regards, peu bienveillants, se fixèrent sur les deux étudiants à la tournure trop cléricale dans des circonstances si graves, car de nombreux Vaudois avaient dû s’engager sous les drapeaux de l’armée fédérale. en sorte que les protestants étaient aigris contre les catholiques et surtout contre le clergé. A la fin, l’un des clients du restaurant interpelle les deux voyageurs: “Que dit-on par Fribourg ? “ Nous ne connaissons pas la réponse, mais on peut supposer que chacun fut assez malin pour parler de la façon la plus équivoque et la moins compromettante.

Mgr Deruaz avait conservé de cette fugue forcée un autre souvenir. Comptant sur le prochain rétablissement de la paix, il avait naïvement enfermé linge, livres et autres objets dans une malle qu’il transporta dans un galetas du séminaire. Plus tard, quand il voulut en reprendre possession, tout avait disparu, à commencer par les belles chemises que sa bonne maman lui avait préparées. Ainsi, dès les premiers pas dans la carrière qui devait aboutir au sacerdoce, il dut faire un bel acte de détachement des biens terrestres.

Proscrit de Fribourg par la force des événements, l’abbé Deruaz fur accueilli avec quelques condisciples au Séminaire d’Annecy. C’est donc là qu’il reçut l’onction sacerdotale, le 25 mai 1850, la veille de la Sainte-Trinité, des mains de l’évêque de Gap, dont un neveu était du nombre des futurs dix prêtres, motif pour lequel Mgr Rendu avait invité ce prélat à remplir les fonctions de cette mémorable journée(Mgr Jean-Irénée depéry (1796-1861) né à Challex (Ain), professeur de rhétorique à Chambéry, grand-vicaire de Belley, évêque de Gap dès 1844) . Le lendemain, M. Deruaz célébra sa première messe au Séminaire d’Annecy, puis, le dimanche suivant, le 2 juin, il chanta un office solennel à Choulex, dans l’église de sa paroisse d’origine.

Soixante ans plus tard, en songeant à ces lointains événements de l’aurore de son sacerdoce, notre évêque adressait à son diocèse sa touchante lettre du 14 mai 1910 pour inviter prêtres et fidèles à remercier Dieu d’avoir béni ses études à Evian, à Fribourg et Annecy, et de lui avoir ménagé des “guides vénérés qui, d’une main prudente et ferme, l’ont conduit jusqu’à l’autel du Seigneur” où, depuis tant d’années, il offre, “chaque jour, la divine Victime”.

II. Au Grand-Saconnex et à Rolle.

Dès que M. Deruaz fut engagé dans les rangs du sacerdoce, c’est un évêque exilé qui lui assigna son premier poste. En 1850, en effet, Mgr Marilley, proscrit de son diocèse par l’intolérance de l’époque, se trouvait sur un sol étranger, à Divonne, non loin de la frontière suisse. C’est de là que, le 7 juin, deux semaines après les ordinations, il nomma le jeune abbé de Choulex vicaire de la paroisse de Grand-Saconnex-Pregny. C’était l’introduire en quelque sorte sur un théâtre de la souffrance, car le pauvre curé, M. Ferrari, était en proie à des attaques d’épilepsie, ce qui le rendait inapte à l’accomplissement de la plupart des fonctions pastorales. Voilà donc pour M. Deruaz une excellente occasion soit de compatir aux épreuves d’un confrère, soir d’exercer sans retard et sans relâche les divers actes du ministère. Certes, il se mit à l’oeuvre aussitôt: chaque dimanche, il dit la messe et prêche en deux endroits, il organise une société de chant, en un mot, il se forme, dans cette modeste situation, à ces habitudes d’activités et de zèle qui distingueront toute sa carrière ecclésiastique.

Plus tard, vers le soir même de son existence, Mgr Deruaz n’entrait jamais sans émotion dans la vieille église du Grand-Saconnex. Il y avait reçu tant de faveurs, il y avait si bien prié au matin même de sa vie cléricale ! Un jour, dans une tournée pastorale, il aperçut dans une stalle du choeur un jeune garçon et lui dit: “Que fais-tu là ? Sais-tu bien que tu as pris ma place ? “ C’était donc là qu’il s’agenouillait pour ses longues actions de grâces et pendant ses visites au Saint-Sacrement.

Après s’être acquitté pendant deux ans, d’une manière exemplaire et fructueuse, des devoirs de sa charge, le jeune vicaire, déjà si recommandable, changea de poste. Le 26 juin 1852, le Conseil d’Etat de Vaud le nomma curé de Rolle. Cette promotion affligea vivement la bonne mère Deruaz. Comment ! son fils s’en irait donc loin de la maison paternelle, de l’autre côté du lac, dans un autre canton, au milieu des protestants ! Elle osait à peine y songer. Comme on s’efforçait de la consoler en lui disant que son enfant serait curé d’une ville et non plus petit vicaire de village, elle répliquait par ce mot typique emprunté au langage de la Savoie: “J’aime mieux le voir boveron chez nous que bouvier là-bas.” Voilà bien le cri du coeur maternel.

Mais l’abbé Deruaz dépendait de son évêque et non plus de sa mère. Il partit donc et arriva le 1er juillet à Rolle, dans cette récente paroisse érigée au milieu d’une population alors peu bienveillante à l’égard des catholiques et de leur culte. L’heure était critique. Depuis de long mois, la plupart des églises du canton étaient fermées par ordre du gouvernement et beaucoup de curés destitués. C’était le cas pour Rolle. M. Schwertfeiger ayant été révoqué, l’église était interdite depuis plus d’une année: plus de cérémonie, plus de baptême ni mariage, plus d’enterrement religieux. “Peut-on se défendre de quelque pitié, dit un journal protestant, en voyant le long de nos routes des femmes en grand nombre, portant des enfants en bas âge ou les traînant à leur suite, pour aller chaque dimanche, si loin de leur demeure, quels que soient le froid, la pluie ou la neige, entendre la messe, ou faire administrer à leur nouveau-né le baptême suivant leur foi ? N’est-ce pas triste de penser que des malades, des moribonds sont privés de leur dernière consolation par l’impossibilité où ils se trouvent d’obtenir les sacrements, auxquels ils attachent un si grand prix ?... La suppression de leur culte est pour les catholiques une poignante privation, pour les protestants un pénible étonnement, pour le pays un étrange anachronisme, “ (Gazette de Lausanne du 25 septembre 1851.)

Voilà en quel sombre moment M. Deruaz fit son entrée à Rolle et y fut installé le 11 juillet par M. Favre, auquel il succédera à Lausanne comme curé, prêtre vénérable que n’oublie point ni le collège de Fribourg dont il fut recteur ni la paroisse de Givisiez où il mourut (16 février 1886).

Sans s’effrayer des difficultés de la situation M. Deruaz se mit au travail. Les talents et les qualités dont il avait fait preuve comme vicaire, il les déploya dans ce milieu tout autre et il réussit promptement à dissiper mille préjugés et mille préventions si vivaces à la suite du Sonderbund. Pendant sept ans, avec non moins de tact et de calme, il poursuivit le même apostolat. Nulle opposition ne l’arrêtait, nulle déception ne le décourageait. Dieu, du reste, bénit son ministère et lui ménagea de douces consolations. C’est ainsi qu’il put organiser une fête de première communion, où quatre enfants furent admis à la Table eucharistique, Elle eut lieu le 26 mai 1856. Lui-même l’a signalée en ces termes dans les archives paroissiales: “Aujourd’hui, pour la première fois depuis la Réforme, a été faite une première communion solennelle, La cérémonie était chose inouïe; aussi a-t-elle causé une vive émotion. Elle a été touchante. L’église était élégamment décorée. Les inscriptions de l’autel et du choeur disaient l’objet de la fête: Laissez venir à moi les petits enfants. Le concours des paroissiens a été efficace; ils ont compris l’importance de la fête.”

Deux ans plus tard, la journée du 27 août fut marquée par un autre événement réjouissant: la visite pastorale faite par Mgr Marilley. Des annales de la paroisse nous détachons les lignes suivantes: “Tout a été simple, mais le coeur a parlé; c’était la fête de famille à laquelle chaque paroissien a voulu contribuer selon son pouvoir; c’était le bonheur de recevoir le chef du diocèse, de revoir enfin l’Evêque persécuté, dont l’exil avait été si long et pour qui les prières avaient été si ardentes; c’était la joie d’entendre la parole d’un père et de contempler la jeunesse présenter son front à l’onction d’un confesseur de la foi, pour être sacrée soldat de Jésus-Christ par le sacrement de confirmation. Quarante-six personnes ont été confirmées. Bien qu’un jour ouvrable (c’était le lundi dans l’octave de la Fête-Dieu) ne favorisât pas l’assistance, l’église était comble. Un grand nombre de personnes qui n’ont pas le bonheur de partager nos croyances avaient voulu prendre part à la cérémonie.”

Comme nos lecteurs le devinent, ces lignes ne peuvent être celui qui s’y est oublié lui-même, M. Deruaz, curé de Rolle.

En 1859, il réussit encore à réaliser un autre acte, sorte de couronnement de son ministère dans cette paroisse: celle-ci fut légalement reconnue en tant que société catholique; elle devint ainsi la propriétaire réelle de ses immeubles, tandis qu’ils appartenaient auparavant à quelques membres de la communauté, ce qui présentait de graves inconvénients.

M. Deruaz n’a jamais oublié Rolle et n’y a jamais été oublié. Jusqu’à son dernier soupir, soit le long de plus d’un demi-siècle depuis son départ de cette ville, il a entretenu des relations avec d’honorables familles de la paroisse. D’entre ses paroissiens de cette époque lointaine, nommons de préférence deux convertis.

L’un, c’est M. Henri Stevenson, professeur au collège de Rolle. En 1853, il renonça au protestantisme et publia une brochure sensationnelle: Lette à mon frère aîné ou Motifs de mon retour à l’Eglise catholique. Après sa conversation, il quitta la Suisse et se rendit à Rome pour mettre sa science au service de la vérité. Pie IX et Léon XIII l’ont honoré de leur confiance et attaché aux archives du Vatican. Son fils a hérité de son amour de l’archéologie au point de devenir l’un des meilleurs élèves du célèbre Rossi. On suppose bien que M. Deruaz dut s’intéresser, comme un bon pasteur, au retour d’une brebis involontairement égarée.

Le deuxième converti dont il convient de parler, c’est M. Bègue de Hornthal, qui abjura à Montauban le 25 mars 1851 et fut élu en 1853 membre du conseil de fabrique de Rolle. Chose extraordinaire ! cet excellent chrétien est resté presque soixante ans fidèle à son poste, longtemps comme président de la paroisse et enfin, vers le terme de sa carrière, comme président d’honneur, titre et témoignage, certes, bien mérités. Né en 1818, plus agé donc que le curé, il lui est demeuré respectueusement attaché jusqu’à l’inévitable séparation par le coup du trépas. Ces deux vénérables vieillards, Mgr Deruaz et M. Bègue, se sont retrouvés pour la première fois le 3 octobre 1909, à l’occasion de la confirmation à Rolle, cinquante ans après que le curé était parti pour Lausanne. Ce fut une touchante rencontre, rendue encore plus émouvante par les discours si affectueux prononcés par l’un et l’autre. L’un des mérites comme l’une des consolations de M. Bègue, ce fut d’avoir si bien transmis à son fils, M. le Chancelier de l’Eveché, ses sentiments de profonde vénération et d’inaltérable dévouement envers l’ancien curé de Rolle devenu le Chef du diocèse. M. Bègue était presque le doyen d’âge de toutes les personnes avec qui Mgr Deruaz fut mis en rapports par les devoirs de sa charge, mais il ne lui a guère survécu, car il a succombé le 29 novembre dernier, comme impatient de rejoindre dans l’au-delà le guide spirituel de sa jeunesse. De cette époque lointaine il ne reste donc, à notre connaissance, que Mme la Princesse de Sayn-Wittgenstein, à Ouchy, laquelle, née en 1815, n’est pas moins respectable par le nombre des années que par les services rendus à la paroisse catholique de Lausanne.

Même dans les rangs si changeants du peuple, le curé de Rolle laissa un souvenir ineffaçable. Notons ici un petit incident qui l’amusa bien lui-même. Environ un demi-siècle après son départ de Rolle, Mgr Deruaz, après avoir bénit la chapelle de Saint-Cergues, vit s’approcher un bon homme, un vieux maître-maçon qui lui dit: “Monseigneur, je vous ai connu curé à Rolle... Je me souviens bien... Vous nous faisiez çanter (chanter). Un jour, nous vous avons dit de prédiquer en italien; vous l’avez fait, mais en hésitant: je n’aurai jamais pensé que vous deviendriez évêque. - Oh ! moi non plus”, répliqua bien vite le bon prélat.

Mais déjà est arrivé pour M. Deruaz le moment de quitter Rolle et de se rendre à Lausanne. C’était en octobre 1859. A son départ, il “emporta avec lui, dit la Gazette, la reconnaissance, l’affection de tous ses paroissiens, l’estime et le respect des autorités et de la population”. Que de fois il y retournera, de Lausanne ou de Fribourg, tout heureux de revoir cette paisible cité, ce bon peuple vaudois, ce modeste presbytère et cette humble chapelle où tout lui rappelait les premières années de son ministère pastoral !

III. A Lausanne.

La moitié de la carrière sacerdotale de Mgr Deruaz - 32 ans sur 61 - s’est écoulée à Lausanne. Là, jouissant de toute la vigueur de l’âge, dans la capitale d’un grand canton protestant, au milieu d’une population assez mélangée de races et d’opinions, il eut l’occasion de montrer son zèle et son habilité, ses nobles sentiments et ses solides vertus. Tous les organes de la presse, tous les échos de l’opinion publique n’ont cessé de lui rendre à ce sujet les meilleurs témoignages. C’est donc superflu d’insister sur un point où sont d’accord tous les observateurs de son activité et des succès obtenus. Mieux vaut signaler certains faits peu connus ou souligner certains traits insuffisamment accentués dans les articles nécrologiques parus au lendemain de son décès.

Honoré de la confiance du Conseil d’Etat vaudois, M. Deruaz fut appelé de Rolle à Lausanne par arrêté du 21 septembre 1859 à titre de “desservant de la chapelle catholique”, C’est la formule officielle pour toute nomination de curé des paroisses nouvelles. Il y restera jusqu’en mars 1891, soit pendant près d’un tiers de siècle. Grâce à l’action accomplie durant cette longue période, son nom est devenu comme inséparable de l’histoire de la paroisse. A l’ombre de l’antique cathédrale où tant de générations avaient imploré Notre-Dame de Lausanne, à la vue des maisons épiscopales où les évêques s’étaient succédé pendant mille ans, il comprit aisément combien les temps étaient changés et combien c’était urgent d’agir en véritable apôtre dans cette cité si pénétrée de l’esprit de Réforme. Conserver dans la foi les enfants de la sainte Eglise, les habituer, en dépit des influences du milieu, à la pratique de leurs devoirs religieux, sauvegarder la dignité de notre culte par des cérémonies imposantes, découvrir toutes les familles et attirer au catéchisme tous les enfants, voilà quelques points de son programme.

Pour le réaliser, il ne recula devant aucun sacrifice matériel ni devant aucune immolation de lui-même. Construire des écoles pour garçons et filles (1864 et 1866), développer et multiplier les classes, rendre florissant un Institut dirigé par une quinzaine de Soeurs au point de lui garantir la confiance même des familles protestantes, trouver de nouvelles ressources pour embellir le sanctuaire, l’enrichir d’un orgue meilleur et de vitraux bien exécutés, et cela sans compromettre le budget paroissial, encourager les conférences de charité, visiter chaque année presque tous les paroissiens, dont le chiffre s’éleva vite à 4,000, donner lui-même presque toutes les leçons d’instruction religieuse, passer chaque semaine de longues heures au confessionnal, voilà les actes les mieux connus d’une existence très occupée, mais toujours bien réglée et nullement agitée.

L’un des traits caractéristiques de la belle l'évêquecarrière de M. Deruaz à Lausanne, ce fut sa bonté pour les pauvres. Certes, ils sont nombreux à Lausanne, soit parce que cette ville est un lieu de passage surtout pour les ouvriers de France et d’Italie, soir parce que beaucoup d’indigents de la campagne y accourent volontiers. Qui redira tous les milliers de malheureux qui ont sollicité l’aumône à la cure de Lausanne ? Moins l’ancien presbytère avait l’apparence d’un palais, plus les déshérités de la fortune s’y présentaient avec confiance. Certains jours et à certaines heures, de préférence quand le compatissant curé revenait de l’église après la célébration de sa messe, il y avait là des processions de pauvres gens, comme à la porte de certains couvents. M. Deruaz ne savait pas refuser; protestants et catholiques connaissaient le secret de l’attendrir. Il fut la consolation de plus de famille désolée, la dernière ressource de plus d’un foyer ruiné. Ajouterons-nous qu’on a parfois abusé de sa bonté, exploité sa générosité ? Nos lecteurs le devinent. Quel prêtre charitable n’en a point fait l’expérience ? Mais ne vaut-il pas mieux se laisser tromper quelquefois que de devenir insensible à l’égard des membres souffrants de Jésus-Christ ? M. Deruaz ne se faisait point d’illusion, mais il n’en continuait pas moins à pratiquer les oeuvres corporelles de miséricorde. Ici, le souvenir d’un incident nous revient à la mémoire. Il avait donné un jour à un suppliant une somme assez forte pour lui permettre, à lui et à sa femme, de retourner à Paris. Peu de temps après il le rencontre et ne peut s’empêcher de lui adresser un reproche avec menaces de ne plus s’occuper de lui, mais l’individu lui réplique spirituellement: “En me délaissant vous n’y gagnerez rien, car le Christ a dit: Vous aurez toujours des pauvres parmi vous,” Que répondre à une citation si bien appropriée à la circonstance ?

Curé de la capitale, homme prudent et expérimenté, M. Deruaz était souvent consulté par ses confrères, même avant d’être mis à la tête du décanat de Saint-Amédée. Du reste, il s’intéressait aux paroisses du voisinage, surtout quand son intervention pouvait être utile dans les heures critiques. C’est ainsi qu’il s’occupa très activement de celle de Vevey, dont l’église, qui réjouit aujourd’hui les catholiques et qui constitue l’un des ornements de la ville, avait été, vu les ressources insuffisantes de la communauté, une source de tribulations. Le curé de Lausanne fut l’un des membres laborieux de la commission chargée de trouver les moyens d’amortir la lourde dette et de mener à bonne fin la difficile entreprise de la construction de ce sanctuaire.

Toutefois, dans certaines circonstances délicates, M. Déruaz ne voulait point s’exposer à empiéter sur les droits ou prérogatives de ses supérieurs, et il savait au besoin recourir à d’ingénieuses équivoques de langage. En voici, par exemple, un cas typique. Un jour, tous les curés du diocèse de Lausanne reçoivent de Mgr Marilley une circulaire destinée à être communiquée du haut de la chaire le dimanche suivant, mais ce document ne concernait que des affaires fribourgeoises et des questions trop personnelles, en sorte que, lu dans le canton de Vaud avec ou sans commentaires, ou bien il produirait une fâcheuse impression ou bien il ne serait pas compris. Perplexité de quelques pasteurs ! L’un d’eux télégraphie le samedi à Lausanne pour demander conseil. Il obtient par dépêche la réponse suivante: “Doyen hésite, ici pas lieu.” Mystère ! Que signifient ces mots ? Ici, à Lausanne, d’où doivent partie les bons exemples, il n’y a “pas lieu” de lire ou d’hésiter ? Curé infortuné !

Ce qui encourageait M. Deruaz dans l’exercice de son ministère, c’étaient les résultats obtenus. Sous son administration la paroisse de Lausanne s’est développée non seulement en nombre, mais aussi en ferveur. Chaque année on constatait un progrès pour l’assistance aux offices et é la messe quotidienne, la fréquentation des sacrements et l’assiduité aux leçons de catéchisme. Cela était trop beau pour durer paisiblement. Un jour survint un grave danger: la communauté catholique faillit être troublée par l’hérésie. Le grand coupable vient de mourir sans s’être converti (9 février 1912): c’est le P. Hyacinthe Loyson, le pauvre apostat. Après avoir remporté quelque succès à Genève, il avait tourné ses regards vers Lausanne en vue d’y fonder une secte de vieux-catholiques. Il s’efforça même de connaître - par des moyens directs ou indirects, nous ne savons plus - ce qu’en penserait le curé. Celui-ci fut vraiment effrayé de ce projet et il pria ciel et terre d’écarter un tel péril. D’une part, il implora la protection de Dieu, surtout par l’intercession du P. Canisius, le même qui avait consolidé la vraie foi dans le canton de Fribourg, puis, ayant été exaucé, il eut soin, dès son arrivée dans notre ville comme évêque, de dire une messe d’action de grâces auprès des reliques de notre Bien-heureux; d’autre part, il visita séparément les conseillers d’Etat pour leur exposer les inconvénients que provoqueraient le bouleversement de la paisible paroisse catholique. Il dut être très éloquent et très persuasif auprès des honorables membres du gouvernement, car ceux-ci ménagèrent ensuite un accueil bien froid au Carme défroqué et lui déclarèrent qu’il y avait déjà assez de religions à Lausanne.

Une fois garanti contre les infiltrations du schisme, autant qu’on peut l’être dans une ville cosmopolite, M. Deruaz s’efforça d’accentuer encore la vie catholique. Aussi approuva-t-il avec empressement le projet de la princesse de Sayn-Wittgenstein de construire une chapelle à Ouchy, dans sa délicieuse campagne de Mon-Abri. Elle fut bâtie avec un luxe d’un goût irréprochable, en vieux style roman, avec des ornements et décorations qui font honneur à divers artistes français. après avoir érigé ce sanctuaire, la généreuse dame le transmit à la Société dite de la Croix d’Ouchy, constituée d’après les sages directions du curé de Lausanne, puis ce bijou d’architecture religieux, dédié au Sacré-Coeur de Jésus et à saint Louis, fut bénit solennellement par Mgr Marilley le 21 juin 1879.

Ce fut l’une des dernières circonstances où se trouvèrent ensemble l’ancien et le futur évêque, car, à cette date, Mgr Marilley ne songeait plus qu’à se retirer. Depuis deux ans, du reste, était agitée la question épiscopale. Déjà, en mai 1877, le Chapitre de Saint-Nicolas avait adressé au clergé une circulaire proposant de signer une pièce pour demander à M. Cosandey comme coadjuteur de l’évêque. Ce document parvint aussi à la cure de Lausanne, mais nous ne pensons pas que M. Deruaz ait apposé sa signature, car il redisait alors à ses vicaires: “Laissons faire Rome et le Saint-Esprit.” Aurait-il parlé autrement durant les deux mois qui ont suivi son trépas ?

Quoi qu’il en soit, le bon Supérieur du Séminaire ne fut pas nommé coadjuteur épiscopal, mais Rome le choisit comme successeur de Mgr Marilley, le 19 novembre 1879, le jour même où la démission de Sa Grandeur était acceptée. Le mois suivant, par Bref du 19 décembre, Mgr Cosandey fut définitivement élu, après avoir en vain suggéré l’idée, à cette époque déjà, de confier le siège de Lausanne à Mgr Mermillod, idée qui sera reprise plus tard et enfin mise à exécution. Mais si M. Deruaz ne s’était associé à aucune démarche en faveur du nouvel évêque, il fut heureux de bien l’accueillir à son départ pour Rome (28 janvier 1880), de le retenir deux jours dans son modeste presbytère et de l’accompagner dans sa visite officielle au gouvernement vaudois. Toutefois, à la vue de l’accablement, de la gêne même du pauvre prêtre condamné à porter désormais la crosse et la mitre, le curé de Lausanne se mettait à douter de la parole de saint Paul: Si quis episcopatum desiderat, bonum opus desiderat (I Tim., III, I).

IV. Autour du siège épiscopal.

Maintenant qu’ont disparu de la scène troublée d’ici-bas tous les personnages qui doivent intervenir dans ce chapitre, on peut en parler plus librement sans commettre aucune indiscrétion. Oublions donc l’heure présente et remontons le cours d’une trentaine d’années, jusqu’au lendemain de la mort de Mgr Cosandey (1er octobre 1882), Quel en sera le successeur sur le siège épiscopal ? La question n’est point déplacée dans cette notice, puisque Mgr Deruaz ne fut pas neutre dans la solution de ce problème.

Comme nous l’avons déjà dit, Gr Cosandey, qu’effrayait la vue de la crosse et de la mitre, avait déjà, en 1879, suggéré l’idée de présenter à Rome, pour le siège de Lausanne et Genève, Mgr Mermillod, l’évêque proscrit depuis 1873 (Voir Vie de Mgr Cosandey, p.135 et 303.). Les circonstances n’avaient pas permis alors de prendre en considération cette proposition dictée tout à la fois par un sentiment d’humilité personnelle et par le désir de contribuer à mettre fin à un acte d’ostracisme indigne d’un pays libre comme la Suisse.

Après le décès de Mgr Cosandey l'évêquela même pensée surgit, surtout dans l’esprit des amis fidèles de Mgr Mermillod, tous impatients de voir tomber pour un prélat aussi illustre les barrières de l’exil. Mais la sentence de bannissement ayant été signée par le Conseil fédéral, c’est auprès de celui-ci qu’il fallait agir pour en obtenir l’abrogation. Heureusement, à M. Cérésole, si compromis dans les affaires de 1873, avait succédé M. Louis Ruchonnet, d’opinions plus larges et plus libérales, quoique très haut placé sur l’échelle des dignités maçonniques. N’étant point responsable de la conduite de ces prédécesseurs, il était maître de ses mouvements pour réparer le passé ou le faire oublier. Il importait donc de bien s’entendre avec un tel magistrat, mais on devait se hâter... et se hâter secrètement.



C’est que, dans d’autres milieux, on ne restait point inactif: les uns, la plupart même, patronnaient Mgr Savoy, avec les meilleures espérances de réussir, comme la preuve en est demeurée consignée dans la Liberté du 14 février 1883; d’autres, très opposés à cette candidature, travaillaient à Berne en faveur d’ “un honorable chanoine de Saint-Nicolas”, comme l’avouait encore le Confédéré du 25 juillet 1903 dans son article: Vingt ans après. C’est en présence de cette diversité d’opinions et de préférences qu’on prononça le nom de Mgr Mermillod, banni comme Vicaire apostolique de Genève, mais qui pourrait revenir en qualité d’Evêque de Lausanne et Genève. Comme on l’a bien appris plus tard, le curé de Lausanne ne fut pas étranger à cette combinaison. S’il n’en eut pas la première idée, il trouva plutôt le moyen de la faire aboutir. Justement estimé dans les hautes sphères de Lausanne, il était tout désigné pour intervenir auprès de M. Ruchonnet avec lequel il entretenait de bonnes relations, au point que l’Indépendant pouvait dire récemment: “Notre grand Ruchonnet, qui s’y connaissait en hommes, lui avait voué une véritable amitié que notre cher évêque lui rendait avec largesse.”

Le Président de la Confédération, après avoir consulté ses collègues, informa de ce plan M. Bavier, ministre suisse à Rome, et celui-ci eut bien soin de faire savoir au Vatican que tout promettait de s’arranger. C’est ainsi que, le 14 mars, la veille même du Consistoire où Mgr Mermillod fut nommé, Léon XIII pouvait lui dire: “Ma volonté formelle est que vous alliez à Fribourg. Dès les premiers temps où j’ai pris le gouvernement de l’Eglise, j’ai formulé ce voeu. En 1879, quand Mgr Marilley me donna sa démission, j’ai travaillé de toutes mes forces pour vous confier sa succession. Des circonstances plus puissantes que ma volonté m’en ont empêché. Dès que j’ai appris la mort de Mgr Cosandey, j’ai chargé mon secrétaire d’Etat d’agir dans ce sens... J’ai rencontré dans le Conseil fédéral des hommes qui ont compris mon projet et m’ont prêté leur concours..” (D’après une correspondance de M. François Carry dans le Journal de Genève au lendemain de la mort de Léon XIII.)

D’après cette citation, on peut supposer que le Pape et le curé de Lausanne ont eut la même pensée, mais celui-ci a rendu en cette affaire un précieux service en préparant à Berne le terrain en vue des négociations avec le Saint-Siège au sujet du retour de Mgr Mermillod. Quoi qu’il en soit, ce dernier, qui ignorait aucune règle de politesse ni aucun devoir de gratitude, ne manquait point, à sa rentrée en Suisse, de s’arrêter dans la ville fédérale et de faire une visite significative à M. Ruchonnet. De son côté, Mgr Deruaz n’oublia jamais la bonne oeuvre accomplie par ce magistrat, et c’est ainsi qu’en 1894, à la nouvelle de sa mort, il envoya à la famille du défunt une lettre qui fut très remarquée.

En jouant le rôle habile et opportun dans ces événements, le curé de Lausanne put atteindre un double but: rendre Mgr Mermillod à sa patrie, puis échapper lui-même aux honneurs de l’épiscopat. Son nom, en effet, fut déjà prononcé en 1883. “Un prince de la cour du Vatican venait chaque année passer quelques jours à Lausanne et était en excellentes relations avec M. l’abbé Deruaz. Celui-ci fut indiqué au Saint-Père comme l’homme parfaitement qualifié pour être le successeur de Mgr Cosandey. Informé de ces rumeurs, M. Deruaz s’empressa de décliner cet honneur.” (Le Cardinal Mermillod, par Mgr Jantet, p. 637). Quant à Fribourg, qui ne s’attendait point à une telle solution, il réserva au noble prélat exilé le meilleur accueil dans sa nouvelle ville épiscopale et put ainsi jouir durant quelques années de l’habile combinaison imaginée par le futur évêque du diocèse.

Bien renseigné sur toutes les péripéties de cette histoire, Mgr Mermillod fut encore plus lié qu’auparavant avec le curé de Lausanne. Que de fois il est retourné auprès de son ami, pendant les quelques années de son épiscopat, depuis le jour de sa visite officiel au gouvernement vaudois (12 juin 1883) jusqu’au jour de ses adieux comme cardinal, en août 1890 ! Non content de se rendre à Lausanne pour les cérémonies de la confirmation, il aimait à prêcher dans la paroisse de son cher confrère et compatriote. Un jour même, il choisit l’église de Lausanne pour l’ordination sacerdotale de deux jeunes abbés (27 juillet 1884). Une autre fois, au printemps de 1886, il s’y arrêta aussi, mais pour prendre M. Deruaz comme compagnon de route, le conduire à Rome et le présenter au Saint-Père. N’était-ce point là un acheminement vers le témoignage encore plus caractéristique de bienveillance, de gratitude et de confiance ?

V. Sur le chemin des honneurs.

Certes, quiconque a connu l’humilité et le désintéressement de Mgr Deruaz est bien persuadé que la perspective des honneurs lui inspirait plutôt des craintes que des aspirations et que, sur ce chemin plus dangereux encore qu’attrayant, les circonstances seules l’ont engagé et entraîné. Ce qu’il n’a pu éviter, il l’a accepté sans ostentation comme sans fausse modestie. Suivons-le donc pas à pas sur cette voie nouvelle, qui doit aboutir pour lui au siège épiscopal de Lausanne et Genève.

La royale Abbaye de Saint-Maurice a toujours été pour Mgr Deruaz une maison de prédilection. Il y trouvait d’aimables confrères et de précieux auxiliaires, surtout pour la période pascale et les grandes solennités de l’année. très sensible aux fraternelles relations que le curé de Lausanne tenait à entretenir et à développer avec sa maison et sa communauté, Mgr Bagnoud, évêque titulaire de Bethléem et Abbé d’Agaune, le nomma chanoine honoraire et lui envoya les insignes de cette dignité (13 août 1878), mais l’humble prêtre ne se hâta ni de les revêtir ni d’en parler, et il ne fallut rien moins que la présence, à l’église, d’un confrère de Saint-Maurice, un jour de fête, pour le décider à produire en public son camail écarlate bordé d’hermine. Plus tard, devenu évêque, il honora constamment l’antique Abbaye de ses sympathies et de sa confiance particulière, et c’est ainsi que, à l’heure des infirmités, il se déchargea d’une partie de son fardeau sur les épaules complaisantes de Mgr Paccolat et de Mgr Abbet, deux dignes successeurs de Mgr Bagnoud.

Nous voici en 1884. M. Deruaz est à Lausanne depuis un quart de siècle. C’est donc pour lui une année jubilaire. Lui-même semblait l’oublier et n’y faisant aucune allusion, mais confrères, paroissiens et amis y songeaient. Déjà, en janvier, d’honorables citoyens lui proposèrent, par un sentiment de respectueuse confiance, un siège à l’assemblée constituante vaudoise. M. Deruaz fut touché de cette attention provenant de milieux protestants, des représentants des divers partis politiques, mais il n’hésita pas à répondre négativement, ne voulant pas s’exposer à faire même un seul pas en dehors du domaine spirituel dont il était chargé.

En automne, l’un de ses vicaires, naturellement sans l’avoir consulté, organisa pour le dimanche 12 octobre une fête de circonstance: il s’agissait pour la paroisse de célébrer le 25ème anniversaire de l’arrivée de son pasteur, mais celui-ci, ayant surpris le complot, s’éclipsa le samedi soir, au vif désappointement de ses ouailles et surtout du promoteur de cette manifestation, jeune abbé trop intelligent pour vivre longtemps et que Dieu, en effet, se hâta d’enlever de ce monde, ne malitia mutaret intellectum ejus (Sagesse, IV, II), après lui avoir cependant laissé le temps de s’intéresser vivement, en 1891, à la nomination épiscopale de son ancien curé. Celui-ci, à son retour au presbytère, trouva ou reçut ensuite de nombreux cadeaux: il les attribua à l’église ou aux pauvres. Il y avait, entre autres, de la part d’une bonne dame, un grand pain de sucre, choisi comme image de la mitre, comme pour permettre au jubilaire de savourer d’avance les douceurs de l’épiscopat !

A cette occasion, si M. Deruaz n’eût pas disparu tout à coup, n’aurait-il pas succombé sous le poids des compliments échappés d’une lyre féconde ? En effet, l’un de ses amis, doublé d’un poète, M. l’abbé Montagnoux, professeur au collège d’Evian, ne commit pas moins de trois morceaux en l’honneur du jubilaire: un Dialogue entre deux enfants, une Cantate (où l’on voit “ses fils l’enchaîner ici par des fleurs”) et une Adresse en sept strophes que devait débiter “une grande élève, un bouquet à la main, entourée de ses compagnes”. Comme tout promettait d’être beau et touchant ! Mais il ne faut jamais compter sans son hôte.

En 1888, après la mort de M. Longchamp, curé de Bottens, M.Deruaz lui succéda comme doyen du vaste décanat de Saint Amédée (22 décembre). Pratiquement, grâce à la situation qu’il occupait dans la capital du canton, il était depuis longtemps le conseiller le mieux écouté et l’intermédiaire le plus utile pour les relations du clergé ou des paroisses avec le gouvernement. Devenu doyen de nom comme de fait, il s’est mis, encore mieux qu’auparavant, au service des prêtres de son décanat, le plus étendu de tous ceux du diocèse. Inutile d’ajouter que, dans l’exercice des fonctions de cette nouvelle charge, il fut constamment un modèle de tact, de prudence et de bienveillance. C’est ce que M. Martin, curé d’Assens, à rappelé dans sa lettre de condoléances adressée à Mgr Currat, vicaire général, en proclamant que Mgr Deruaz, son prédécesseur comme doyen, possédait “toutes l’estime et toute la sympathie (du clergé) par sa dignité, sa piété et ses vertus”.

Un témoignage analogue a été rendu à notre évêque, dès le lendemain de sa mort, par la presse protestante de Lausanne. Ainsi, la Gazette disait: “Chacun a encore présent à la mémoire le tact, la prudence, l’urbanité, et aussi le zèle admirable, le dévouement que le vénéré prêtre déploya à Lausanne durant 31 ans. Son prestige était devenu tel que l’annonce de son départ émut tout le monde et qu’il n’y eut qu’une voix pour le regretter.” De son côté, la Feuille d’Avis s’est exprimée aussi en termes bien significatifs: “Le soin qu’il avait des malades, dit-elle, sa charité inépuisable envers les pauvres lui ont créé des sympathies profondes... La population protestante de Lausanne ne lui était pas moins sympathique (que les catholiques). Il l’avait complètement gagnée par son tact et sa bonté...” Enfin, la Revue de Lausanne ne lui ménageait point les éloges à la nouvelle de sa promotion à l’épiscopat: “Placé, dit-elle, au milieu d’une population protestante dans son immense majorité, il a suivi une conduite discrète, prudente et habile qu’on jugera é ce fait que, pendant un ministère de trente ans, il ne s’est pas élevé un seul conflit. Dès qu’il surgissait une difficulté avec les autorités civiles, les efforts de M. Deruaz tendaient à l’aplanir. Nous convenons que cette politique était dictée par les intérêts de la paroisse catholique de Lausanne, mais encore fallait-il pour réussir qu’elle fût servie par un caractère conciliant, par un esprit plus porté à la paix qu’à la guerre.”

Esprit observateur, M. Deruaz n’ignorait ni l’affection sincère de ses paroissiens ni les bons sentiments qu’éprouvaient à son égard les meilleurs milieux protestants. Aussi se plaisait-il à Lausanne, il y était comme chez lui et il n’avait pas d’autre ambition que d’y terminer sa fructueuse carrière. Ecoutons-le lui-même dans l’une de ses dernières communications à son diocèse: “C’est avec tremblement que, jeune encore, Nous consentîmes à prendre sur nos faibles épaules la charge de diriger cette paroisse (de Lausanne), une des plus importantes du diocèse. Mais bientôt l’attachement de nos nouveaux paroissiens, la sympathie générale de la population, la bienveillance des autorités de la ville et du canton, Nous rendirent ce poste cher et agréable. C’est là, au milieu des fidèles que Nous avions pour ainsi dire élevés, que Nous espérions continuer les travaux de Notre ministère jusqu’au jour où Dieu retirerait notre âme de ce monde pour l’admettre à la récompense.” (Circulaire du 14 mai 1910.)

Mais mieux il réussissait à Lausanne, plus il était digne de monter plus haut.

VI. Tentatives de refus de l’Episcopat.

Créé cardinal dans le Consistoire du 23 juin 1890, Mgr Mermillod fur reçu solennellement à Fribourg le 16 juillet. A la vue des magnificences de cette entrée triomphale, quelques esprits se disaient tout bas: “ Ne serait-ce point des funérailles anticipées, un enterrement de première classe ? “ Qui sait ce qu’en pensait lui-même le nouveau Prince de L’Eglise ?

Quoi qu’il en soit, peu de mois après, dans le courant de la même année, la question épiscopale fut soulevée, discutée, agitée. Loin de nous l’idée de faire revivre dans ce chapitre cette période d’un intérêt si captivant: laissons ce soin aux historiens que produira la génération future. Rappelons seulement, pour marquer la liaison des faits, que Mgr Mermillod, invité par le Pape à se fixer à Rome, songea d’abord à conserver son siège de Lausanne et Genève, mais en s’adjoignant un coadjuteur, qui pourrait être M. Deruaz, bien qualifié pour lui succéder, ou bien Mgr Philippe, dont la complaisance était déjà connue.

Mais Léon XIII avait un programme: son intention bien arrêtée était de dégager le cardinal du soin d’administrer son diocèse. Ce point capital une fois décidé, Son Eminence recommanda vivement au Saint-Père son ami et compatriote le curé de Lausanne “comme le candidat le plus capable de continuer son oeuvre à Fribourg et à Genève, ainsi qu’à Lausanne et à Neuchâtel.” Cette démarche fur aisément couronnée de succès. Ainsi le prouva bientôt le Bref du 30 janvier 1891 informant Mgr Mermillod qu’il devait résigner sa dignité épiscopale pour s’établir à l’ombre du Vatican, puis qu’il aurait pour successeur le prêtre désigné assez clairement par le portrait suivant:
“Ce sera désormais Notre soin de mettre à votre place un homme orné des vertus et des qualités qu’exige la grandeur de cette charge, un homme qui, animé de votre zèle et de votre esprit de foi, veuille et puisse poursuivre et achever les grandes oeuvres que vous avez entreprises pour le salut des âmes et le progrès de la religion catholique.”

A la nouvelle qu’on songeait à lui pour le siège devenu vacant, quelle fut l’attitude de M. Deruaz ? A ce problème qui ne manque point d’intérêt nous sommes heureux de pouvoir donner une solution suffisamment documentée. Il convient, en effet, de signaler les beaux exemples d’humilité assez nombreux dans les annales des nominations épiscopales; il importe, d’autre part, de dissiper jusqu’aux dernières ombres d’une légende d’après laquelle le curé de Lausanne se serait volontiers prêté à l’exécution de tout le plan du cardinal Mermillod. La vérité est tout autre: à mesure qu’il se sentait plus menacé, M. Deruaz s’est efforcé, par les moyens dont il pouvait disposer, d’échapper à une promotion qui effrayait sa modestie. Nous allons surprendre sa pensée et ses angoisses dans les lettres intimes de février 1891 devenues aujourd’hui, à son insu, de précieuses pièces justificatives.

Déjà, le 7 février, quand les premières rumeurs circulaient à Lausanne, il écrivait à un confrère:
J’ai vu, un de ces derniers jours, Mgr Paccolat, à qui je rappelais la présence à Rome de trois évêques suisses. J’ai exprimé le regret de ne point l’y savoir: entre quatre ils pourraient amener une solution. “Oui, m’a-t-il répondu, mais ce n’est pas sûr que les autres fussent de notre côté”. Il avait, lui, proposé une démarche, dont l’initiative serait venue de Mgr Jardinier: on a prié de différer.

La semaine suivante, le 11 février. s’adressant à M. Pellerin, Vicaire général, il est plus catégorique dans l’expression de ses inquiétudes et dans ses supplications d’intervenir. D’une rédaction et d’une écriture précipitées, sa lettre est un peu négligée, mais elle n’en porte que mieux le cachet de la sincérité. la voici in-extenso; on y remarquera les nombreux termes qu’il a lui-même soulignés:
Il me vient de divers côtés de sinistres rumeurs auxquelles je suis forcé de donner attention !
J’ose venir moi-même vous en entretenir, et peut-être, au besoin, vous demander secours ou aide pour écarter le sujet ou plutôt l’objet de ces rumeurs !
Les journaux ont annoncé la nomination accomplie ou prochaine du Curé de Lausanne é l’Evêché de Laus. et Genève.
Des lettres particulières confirment cette annonce !
Or le premier intéressé dans cette affaire est le plus surpris de cette annonce.
Il n’a rien reçu ni du Cardinal ni d’autres personnes ecclésiastiques qui auraient pu être chargées de le pressentir.
Vous-même vous ne m’en avez soufflé mot, vous bornant à me dire qu’on vous avait assuré que je continuais à refuser obstinément: ce qui serait devenu en fait si on m’avait présenté... (Rien ne m’étant présenté par qui de droit, je n’avais rien à refuser. J’aurais paru étrange en prenant l’avance ! Et si on n’avait pas pensé à moi ?)
Or, mon opinion ancienne ne s’est pas modifiée: elle s’est au contraire affermie et fortifiée. J’ai encore plus de raisons en ce moment pour demander qu’on écarte de moi ce que certaines personnes pensent qu’on veut m’imposer. Je puis être flatté, mais je suis trop effrayé... A Rome je n’ai pas de Cardinal. Mais vous avez, vous, des relations, et vous connaissez les filières.
Et s’il y a quelque chose de réellement fondé dans tout ce qui se dit, j’ose vous prier de me venir en aide pour écarter soit en me donnant quelques directions à ce sujet, soit en faisant connaître à qui de droit ma résolution bien arrêtée de refuser, ne pouvant prendre une telle succession.
Quoi de plus... il y en aurait peut-être encore moins de temps pour moi que pour Mgr Cosandey.
Je ne supporterai probablement pas le transplantage !

Nous ignorons la réponse de M. Pellerin. Rempli lui-même d’estime envers le curé de Lausanne, il n’a pas dû promettre beaucoup à son humilité effrayée ni faire, à Rome, des démarches dans le sens désiré. Du reste, c’était sans doute déjà trop tard, car chaque jour la bonne nouvelle prenait plus de consistance. Aussi, écoutons encore une fois M. Deruaz. Le 19 février, c’est de sa part un vrai cri d’alarme:
Au milieu des bruits les plus persistants, et dans les angoisses les plus douloureuses, j’attendais une lettre de vous.
Hélas ! elle ne fait que confirmer le bruit général; et malgré les adoucissements que vous voulez bien y apporter et les encouragements donnés, mes angoisses ne font qu’augmenter; oH ! je souffre mente et corpore.
Dimanche dernier, j’ai reçu une lettre du cardinal Rampolla, me donnant l’uffiziale notizia de l’intention de Sa Sainteté, qui avait risoluto di affidarle il governo dell’ importante Diocesi, De plus j’étais invité à aller à Rome.
J’ai regardé cette lettre comme une ouverture qui m’était faite. Et en examinant la date de son envoi, je concluais qu’elle avait été écrite avant la remise d’une lettre, puis d’une dépêche, expédiées par moi au prince Chigi, qui, il y a huit ans, avait été intermédiaire dans les négociations relatives à la nomination de Mgr Mermillod.
C’est en ce sens que j’ai répondu au cardinal Rampolla. J’ai confirmé ma lettre au Prince Chigi: j’ai rappelé ma dépêche pour insister sur mon écartement de toute candidature, et j’ai rappelé certains points de ma lettre.
Et j’exprimais l’espoir que, rien d’officiel n’ayant encore paru, le Souverain Pontife entrerait dans mes vues après avoir pesé mes raisons.
Hier, j’ai reçu une lettre du prince Chigi, enfin !
Il me déclare que ma lettre va à l’encontre de toute ses idées et de tout ce qu’il avait déjà pu dire au Cardinal secrétaire d’Etat. Que néanmoins, vu mon insistance, il avait présenté ma lettre au secrétaire d’Etat, lequel a dû la présenter au Saint-Père qui jugera s’il doit récuser ou confirmer.
Je suis donc tenu en suspens et tout espoir n’est donc pas perdu. Quelle sera la réponse du Cardinal, s’il y en a une ?
Je vous dirai que je trouve fort peu d’appui hors de Lausanne: ici on entre dans mes vues.
Ignorant ce qui se faisait, j’ai fait fausse route en m’adressant d’abord à notre Cardinal qui, n’assure-t-on, aurait fait une présentation, où, contre mes prévisions, j’entrais comme premier ou troisième... Il ne voulait pas défaire ce qu’il avait fait.
J’ai cru être mieux servi par le Prince Chigi, que j’avais employé il y a huit ans.
Et il me répond qu’il s remis ma lettre pour me servir et à cause de mon instance, mais c’est contre ce qu’il a fait précédemment.
Dans cette situation que dire ? Que faire ?
A mon insu, une pétition a été subitement organisée par les paroissiens.
Je n’en ai été prévenu que par le Dr Rouge, qui m’a demandé d’approuver la déclaration médicale.
On me demande et on m’offre d’envoyer un exprès à Rome. Mais qui ? Et que pourrait-il faire ?
Par cet exposé vous comprendrez, Monsieur le Vicaire Général, que je ne puis songer à une organisation de l’avenir, ainsi que vous voulez bien me conseiller: j’ai assez du présent qui est à résoudre.
L’Administration est en bonnes mains et je ne suis rien moins qu’évêque du diocèse, quoiqu’on en dise !
Cependant je déclare que je suis soumis à tout pourvu qu’on écarte la charge et la responsabilité dont on me menace.
Le Cardinal s’obstinait à ne répondre que par dépêches, forcément laconiques.
Lundi, j’ai reçu une lettre: il me donne des encouragements, mais il articule ses plaintes: je l’ai plaint en effet, je le plains encore, mais moins que moi.
Mai dans cette douloureuse attente d’une solution finale, j’ose recourir à votre constante bienveillance et é votre amitié pour moi, pour être aidé, secouru et dirigé.

Voilà donc ce que pensait M. Deruaz. Aux sentiments du pasteur correspondaient ceux des fidèles: le père se plaisait au milieu de ses enfants, les enfants voulaient garder leur père. Une pétition se couvrit donc de signatures. Elle fut adressée au Pape “pour le conjurer de conserver, é la paroisse de Lausanne, son vénéré doyen, vu sa santé précaire et l’affection que lui témoigne toute la population de la ville”.

En lisant une telle supplique si flatteuse pour le bon curé, Léon XIII a dû se dire: Mais il fera donc très bien à la tête d’un diocèse. La décision irrévocable fut donc prise bientôt, soit dans la première quinzaine de février, mais, dans notre diocèse, M. Deruaz ne fut pas le premier à la connaître. Un jour, un vénérable curé fribourgeois se présenta tout joyeux à la cure de Lausanne. Il venait de recevoir d’un personnage du Vatican, ami de la Suisse, un télégramme catégorique annonçant comme faite la nomination épiscopale. L’évêque élu voulut voir et conserver cette dépêche. Il s’en montra très affecté. “Que de fois, dit-il, j’ai écrit à Mgr Mermillod pour être préservé d’une telle charge. Comme Mgr Cosandey, je ne serais pas trois ans évêque.” Cette prophétie, presque naturelle en ce moment-là, car il souffrait alors d’une bronchite, ne devait heureusement point se réaliser. Quoi qu’il en soit, l’honorable visiteur ne tarda pas à prendre congé en lui disant: “Si je n’ose point vous féliciter, Monseigneur, car les évêques ont à porter des croix intimes plus lourdes que la croix d’or qui brille sur leur poitrine, je veux du moins féliciter chaudement le diocèse de Lausanne et Genève.”

La bonne nouvelle était exacte. Le gouvernement de Fribourg en fut informé officiellement par une communication du cardinal Rampolla, secrétaire d’Etat de Sa Sainteté. Environ un mois plus tard, M. Deruaz dut se résigner à quitter ses chères ouailles. Inutile de dire que lettres, félicitations et visites se multiplièrent dans des proportions bien éloquentes. Entre autres personnages qui se présentèrent pour le complimenter, il convient de signaler deux délégués du Conseil municipal de Lausanne.

Comme on le voit, si jamais curé a changé de poste dans d’honorables conditions, ce fut bien M. Deruaz: la paroisse de Lausanne a pleuré son pasteur, mais le diocèse s’est réjoui.

VII. Promotion à l’Episcopat.

Toute hésitation étant désormais impossible, M. Deruaz se rendit à Rome, où l’attendaient et le Pape et le cardinal Mermillod.Peu de jours après son départ de Lausanne, le diocèse reçut la dernière Lettre pastorale de son ancien évêque. Elle est datée du 12 mars et prononce ainsi l’éloge du futur prélat: “Sa piété douce et profonde, son expérience du ministère pastoral, son sens droit et ferme, son caractère bienveillant, sa charité compatissante, son amour de l’Eglise, son zèle pour les âmes et sa sollicitude pour les pauvres, les regrets qu’il suscite après trente-deux ans de sa vie pastorale à Lausanne, tout fait présager que vous aurez un évêque selon le Coeur de Dieu. Que ce cher Josué, dans les combats de la plaine, rencontre toujours dans votre aide et dans votre piété filiale un adoucissement à ses travaux et à ses amertumes. En lui transmettant le Bâton pastoral de saint Amédée et de saint François de Sales, nous savons que, dans ses mains, cette crosse sera une protection pour le clergé et une consolation pour les fidèles.”

Deux jours plus tard, le 14 mars, cette éloge était ratifié par le Bref de nomination au Siège de Lausanne et Genève.

Après quelques jours réservés à la prière et à la retraite, Mgr Deruaz reçut l’onction des pontifes. C’était le 19 mars, jour qu’il avait choisi lui-même afin de mettre son épiscopat sous la protection de son glorieux patron, le Père nourricier de l’Enfant Jésus, l’Ami intime du Christ, le modèle de la vie intérieure, le Gardien enfin de l’Eglise universelle. La touchante cérémonie eut lieu dans la chapelle du Séminaire canadien. Le cardinal Mermillod voulut sacrer lui-même son successeur et lui donner ainsi un nouveau témoignage d’inaltérable affection. Il fut assisté dans cette fonction par Mgr Ferrata, secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, et Mgr Haas, évêque de Bâle et Lugano. Environ 200 privilégiés, la plupart très liés avec le vénéré prélat, furent associés à cette fête. Elle fut marquée d’un caractère très helvétique: on eût dit une fraction de la Suisse transportée à Rome. Des Fribourgeois de la Garde Suisse faisaient le service à l’entrée de l’édifice et du sanctuaire. Deux prêtres de notre canton, M. Bovet , Chancelier épiscopale, et Mgr Villard, remplissaient les fonctions de chapelains du nouveau prélat. Des élèves suisses de la Propagande et du Collège germanique, entre autres M. le Dr Cottier, servaient à l’autel. De Fribourg étaient arrivés M. le chanoine Tschopp, doyen du clergé de la capitale, et M. Fragnière, directeur au Séminaire et ancien vicaire de Lausanne. Nommons encore le comte de Courten, commandant de la Garde suisse, et le Révérendissime Père Bernard Christen, d’Andermatt, Général des Capucins. Ainsi, notre patrie était convenablement représentée.

Au banquet, convives et toasts furent nombreux. On remarqua surtout le discours de Son Eminence. Em prononçant l’éloge de son successeur, Mgr Mermillod eut soin de l’encourager en lui déclarant qu’il trouverait à Fribourg, des populations fidèles et dévouées, un gouvernement catholique, de grandes oeuvres à consolider et é développer, un clergé docile et zélé; ailleurs, une neutralité bienveillante. Dans sa réponse émue, Mgr Deruaz a remercié le Pape et le Cardinal, ainsi que tous les personnages présents réellement ou au moins de coeur aux événements de cette journée.

Le lendemain, Léon XIII reçut Mgr Deruaz en seconde audience privée et se montra plein de bienveillance. Il lui offrit en don un magnifique Pontifical en 3 volumes, édition et reliure de luxe, une belle croix pectorale, un anneau avec camée représentant Sa Sainteté en pierre taillée et enfin une palme d’or très riche, chef-d’oeuvre de finesse que Romains et étrangers avaient souvent admirés.

Cependant Fribourg suivait d’esprit et de coeur les événements de Rome et se disposait à bien accueillir son nouveau Guide spirituel, mais son espoir fut déçu. N’écoutant que sa modestie, Mgr Deruaz n’annonça point la date de son arrivée. A l’insu de la population il entra dans sa ville épiscopale dans la soirée du 9 avril. Le lendemain, il prit possession de l’Evêché en présence du clergé de la capitale. Le 11 avril, il adressa “au clergé et aux fidèles de son diocèse” sa première Lettre pastorale dans laquelle il rend hommage, en termes émus, à ses trois derniers prédécesseurs et surtout au cardinal Mermillod, exprime ses regrets d’avoir dû quitter Lausanne, manifeste les appréhensions que lui inspire la charge épiscopale et insiste sur la pratique de la charité, source de consolations et gage de succès.

Ce premier document portait la devise que devait être un programme scrupuleusement suivi In ciam pacis. Dans les armoiries, on remarquait une colombe avec une branche d’olivier, symbole de la mission de paix et de tendresse que l’élu du Seigneur venait exercer dans l’Eglise de Lausanne et Genève (D’après la poésie du langage héraldique les armoiries de Mgr Deruaz doivent se lire ainsi: Ecartelé au 1 et 4 parti d’argent et de gueules à deux ciboires de l’un à l’autre, et au 2 et 3 de gueules à deux clefs d’or posées en sautoir, à la croix d’argent brochant sur le tout et chargée d’une colombe au naturel portant dans son bec un rameau d’olivier de sinople (Armoiries du diocèse et des Evêques de Lausanne, par Fréd.-Th. Dubois, page 32)). Lui-même, dans ce premier entretien avec son diocèse, expliquait le choix de cet emblème et de cette devise: “Nous voulons accomplir auprès de vous, écrivait-il, le commandement du Seigneur: En quelque maison que vous entriez, dites d’abord: Que la paix soit à cette maison !”

On sait déjà et l’on reverra dans les pages suivantes que Mgr Deruaz a soigneusement observé cette religieuse promesse.

VIII. Fonctions épiscopales.

Ce que fut le long épiscopat d’un vénéré vieillard, les historiens futurs, mieux documentés et plus éloignés des événements, le diront d’une façon plus développée. Qu’il nous suffise donc de noter les traits les plus saillants de cette noble carrière, traits déjà connus sans doute, mais qu’il ne faut point laisser tomber dans l’oubli et sur lesquels pourront insister les biographes de l’avenir.

Affirmons tout d’abord que Mgr Deruaz s’était fait, dès le premier jour, une idée très grande des devoirs de sa charge. A la lumière de la foi, il voyait la dignité surnaturelle des pontifes qui, successeurs des Apôtres, doivent éclairer et guider les peuples. Il s’efforça donc d’être à la hauteur de sa tâche par le scrupuleux accomplissement des fonctions essentiellement épiscopales. De là son empressement à s’acquitter par lui-même, aussi longtemps qu’il en fut capable, des cérémonies des ordinations, source d’une sainte joie pour son coeur paternel. Il avait alors soin de réunir ceux qu’il avait promus aux ordres, puis, laissant déborder son âme, il leur parlait comme un père à ses fils de prédilection.

De là aussi son ardeur à supporter les fatigues inséparables des longs rites de la bénédiction ou consécration des églises. Quand les infirmités de lâge l’empêchèrent d’y procéder par lui-même, il tenait du moins à s’y rendre comme témoin et à répandre ses premières bénédictions sur le nouveau sanctuaire et sur la foule accourue pour la circonstance. La dernière église qu’il a consacrée lui-même, ce fut celle de Cormondes, le 14 octobre 1900. Outre celle-ci, Mgr Deruaz a vu surgir, pendant son épiscopat, des sanctuaires paroissiaux à Saint-Sylvestre, Ueberstorf, Saint-Antoine, Schmitten, Heitenried, Planfayon, Bellegarde, Vhevrilles, La-Joux, Progens, Farvagny, Cerniat, Bonne-Fontaine, Montbovon, Grolley et Neuchâtel.

De là encore son édifiante énergie à présider les synodes, à participer aux exercices des retraites, à s’associer aux fêtes des maisons religieuses ou des établissements d’instruction supérieur, autant de cas où il aimait à adresser quelques paroles d’encouragement. Presque tous nos sanctuaires de Fribourg ont ainsi joui de sa présence, mais surtout la collégiale de Saint-Michel pour la solennité de Pâques et l’église Saint-Michel pour la fête du Bienheureux Canisius. Quand les offices pontificaux lui devinrent trop pénibles, il se contenta d’assister au trône pour donner ainsi une preuve de sa bonne volonté et de sa dévotion. C’est ce qu’il fit, pour la dernière fois, à Saint-Nicolas, le 25 décembre 1910.

C’est encore avec de pareils sentiments qu’il participait à la procession de la Fête-Dieu aussi longtemps que ses forces le lui permirent. Il y fit une dernière apparition le 26 mai 1910, quand, près du Reposoir des Places, il se montra revêtu de ses ornements pontificaux, mais presque avec la pâleur d’un mourant et dans tout l’accablement de l’extrême vieillesse, comme une dernière vision d’un patriarche au milieu de son peuple.

En dehors de sa ville épiscopale et même de son diocèse, Mgr Deruaz pontifia plusieurs fois pour satisfaire sa piété et correspondre à d’affectueuses invitations de prélats du voisinage. Rappelons quelques-unes de ces journées d’après l’ordre chronologique:
Le 22 septembre 1892, il pontifia à l’Abbaye de Saint-Maurice, en l’honneur des martyrs de la Légion thébaine;
Le 23 février 1893, à Rome, dans l’église des Soeurs de la Croix, pour le repos de l’âme du cardinal Mermillod;
Le 2 août 1893, à Bulle, dans l’église des Pères Capucins, à l’occasion de la Portioncule, après avoir, la veille, jour de la fête patronale, installé le nouveau-curé de Bulle, M. le Dr Alex, et prêché lui-même en cette circonstance;
Le 6 juin 1894, A Saint-Claude, le jour de la fête patronale, ce qui lui valut le titre de chanoine honoraire de la cathédrale;
Le 27 août 1894, à Siviriez, lors de la grande assemblée du Pius-Verein;
Le 15 septembre 1894, à Thonon, en présence de plusieurs évêques et d’une foule innombrable attirée par les fêtes du 3ème centenaire de l’arrivée de saint François de Sales sur la colline des Allinges;
Le 14 septembre 1897, à Einsiedeln, à l’occasion de la dédicace de la Sainte-Chapelle. Ainsi, Mgr Deruaz ne se ménageait pas et il consultait moins la crainte des fatigues que la consolation de faire plaisir.

Mais voici un domaine plus étendu où chacun a pu admirer son courage, on serait tenté de dire l’obstination pour affronter des labeurs presque incompatibles avec son âge et ses infirmités: c’est celui des visites pastorales et des confirmations. C’est alors surtout qu’il entrait le mieux en contact avec les diocésains et pouvait produire sur eux la plus salutaire impression. Lui-même a pu se rendre ce témoignage de n’avoir point négligé ce devoir sacré. Dans sa circulaire du 14 mai 1910, envoyée à l’occasion de son jubilé sacerdotal, il écrivait: “A trois reprises, Nous avons pu visiter toutes les paroisses de notre diocèse et administrer le sacrement de confirmation à des milliers d’enfants.” Or, tous ceux qui l’ont vu à l’oeuvre savent que de pareilles journées n’étaient qu’une succession de fatigues. Interroger des centaines d’enfants, donner audience aux membres du clergé, aux autorités locales et à quiconque désirait lui parler en particulier, distribuer la sainte Communion presque à tous les paroissiens, examiner les registres, autels et sacristie, marquer du signe de la croix le front de chaque jeune soldat de Jésus-Christ, adresse des avertissements pratiques et des encouragements précieux, prier pour les trépassés, bénir les petits et leurs mères, voilà, dans ses grandes lignes, un programme qui fut soigneusement observé chaque jour, même quand les tournées pastorales duraient plusieurs semaines. Sans doute, quand les infirmités s’accentuèrent et que la voix se fut affaiblie, le bon prélat n’était que difficilement entendu et incomplètement compris, mais la vue de ce vieillard courbé sous le poids des ans, de ce prêtre à cheveux blancs, de ce pontife frappé de cécité, s’avançant péniblement en bénissant, si heureux de se sentir au milieu des siens, n’était-ce point là une excellente prédication ? A la campagne surtout, où plus rare était un tel spectacle, chacun éprouvait une profonde émotion et admirait un tel exemple de fidélité au devoir.

Un tel tableau augmentait en beauté à mesure que notre évêque s’approchait du terme de sa carrière. On eût dit qu’il voulait travailler jusqu’à la fin et tomber la crosse à la main. C’est ainsi qu’en 1909, à l’âge de 84 ans, il visita encore une cinquantaine de paroisses, confirma environ 5,300 enfants, parfois plusieurs centaines par jour, et même près de 800 dans une ville. En 1910, il retourna même dans plusieurs localités des cantons de Genève et de Vaud et enfin à Seiry, le 31 juillet: c’est dans cette petite et modeste paroisse de la Broye que se termina la série des tournées pastorales.

De ce ministère si pénible mais si fructueux le Courrier de Genève a parlé en termes bien justes au lendemain du décès de Sa Grandeur: “Quand le premier pasteur, disait-il, répond à la piété des peuples et porte sur son front la marque de la sainteté, il est rare que les hommes n’en soient pas frappés. Cela arrivait toujours aux visites pastorales de Mgr Deruaz: là surtout il était supérieur. Des protestants mêmes se joignaient aux fidèles catholiques et s’estimaient heureux de recevoir à genoux sa bénédiction. Quand il adressait alors une exhortation aux plus humbles fidèles de son diocèse, c’était avec ce qu’il avait de meilleur dans le coeur qu’il conquérait leurs âmes.”

Ces fêtes de confirmation, Mgr Deruaz les désirait majestueuses, à l’église surtout, afin d’inspirer une grande idée de ce sacrement et des obligations qui en découlent pour la vie chrétienne. Dans ce même but, lui-même officiait avec le plus de dignité possible et contribuait ainsi à rendre très vénérable aux yeux de tous la liturgie de ces mémorables journées.

Ce qui accentuait encore l’importance de ces visites, c’était son empressement à se mettre en rapports avec les autorités civiles. Naturellement, ces relations étaient marquées d’un cachet plus grave dans les capitales, siège du gouvernement cantonal. Il en fut ainsi plusieurs fois à Lausanne et à Neuchâtel, à la grande joie des catholiques et é la vive surprise de certains protestants. L’accueil dont il était l’objet réjouissait beaucoup notre évêque, et, jusque vers le soir de son existence, il en causait volontiers. Quoique officielles, ces visites aux conseillers d’Etat ne manquaient ni d’intimité ni de cordialité, et elles étaient même parfois couronnées par un banquet - car on est bien élevé dans la famille helvétique.

Ajoutons que la grande idée que Monseigneur concevait de la confirmation, il s’efforçait de l’inculquer aux âmes, non seulement dans les fêtes solennelles, en présence de la foule, mais aussi dans les oratoires privées où n’étaient admis que de rares privilégiés. Que de fois il a confirmé dans la chapelle de l’Evêché, mais n’y eût-il qu’une seule personne, qu’un seul enfant à enrôler sous les drapeaux de Jésus-Christ, même alors il prononçait une tendre allocution, afin que la grâce sacramentelle soit mieux accueillie, mieux estimée et plus profitable.

IX. Documents épiscopaux.

Mgr Deruaz n’a jamais eu l’ambition d’occuper même une petite place dans l’histoire des lettres en Suisse. Il n’a point souffert du mal d’écrire. Simple prêtre, il n’a commis ni brochure, ni même, à notre connaissance, un modeste article de journal. S’il n’était jamais monté sur un siège épiscopal, il eût sans doute disparu sans laisser aucun fruit littéraire de ses talents et de sa plume.

Une fois évêque, il dut entrer en communication avec les diocésains et se servir ainsi de la presse pour être par tous entendu et compris. De ce devoir comme de tous les autres il s’est acquitté d’une façon consciencieuse. En 20 ans il a publié 70 documents: c’est une respectable collection que les archives paroissiales devront et que beaucoup de prêtres voudront conserver soigneusement.

De ces nombreuses pièces le triage est facile. Quelques-unes, ne s’adressant qu’au clergé, lui donnent des avis et directions, ou bien lui transmettent des documents de Rome ou enfin lui recommandent des oeuvres ou institutions spéciales. A cette catégorie se rattachent les Monita ad confessiarios que Monseigneur se hâta de publier, puisqu’ils portent la date du 8 décembre 1891. D’autres sont dictées par des circonstances particulières ou locales: ainsi, celle du 10 juillet 1891 sur l’incendie de Morlon, celle du 4 avril 1893 sur le pèlerinage au tombeau du B. Canisius, celle du 19 mai 1893 sur la prolongation de la sécheresse, celle du 16 juillet 1897 sur le 3ème centenaire de la mort du P. Canisius, celle du 19 mars 1902 sur le Jubilé de Léon XIII, celle du 7 juillet 1902 sur le Congrès marial de Fribourg, celle du 6 février 1903 sur la sonnerie des cloches aux enterrements, celle du 21 juillet 1903 sur la mort du Pape, celle du 5 août sur l’élection de Pie X, celle du 21 novembre 1904 sur le cinquantenaire de la définition de l’Immaculée Conception, celle du 28 août 1906 sur le Congrès des catholiques à Fribourg et celle du 28 octobre 1908 sur le Jubilé sacerdotal de Pie X. D’autre circulaires sont marquées au coin du plus pur patriotisme:

ainsi, celle du 4 juillet 1891 relative au 6me centenaire de la fondation de la Confédération suisse, celles du 28 décembre 1897 et du 30 mars 1903 sur le centenaire de l’indépendance vaudoise, et celle du 21 juin 1898 sur le cinquantième anniversaire de l’entrée de Neuchâtel dans la famille helvétique.

Cette froide énumération indique assez tout l’intérêt de Sa Grandeur témoignait aux événements de son temps et surtout aux affaires de son pays et de son diocèse.

Mais voici les documents les plus importants, ceux dont la lecture a été donnée aux fidèles dans toutes les églises et chapelles du diocèse: ce sont les Lettres pastorales écrites à la veille de chaque Carême. Evêque durant vingt ans, Mgr Deruaz en a publié vingt, n’ayant négligé aucune occasion, malgré ses infirmités, de s’adresser à ses chères ouailles. Sans doute, à mesure que les forces déclinaient et que le travail intellectuel devenait plus difficile, notre Ev^que devait confier à des auxiliaires complaisants et compétents le soin de rédiger de telles pièces, mais il n’y resta jamais entièrement étranger, car lui-même suggérait d’ordinaire le sujet à traiter et inspirait parfois diverses considérations d’après les circonstances du moment où les inquiétudes du lendemain.

Toutes ces Lettres pastorales abordent des questions à jamais actuelles et capitales, celles qui concernent la vie chrétienne. Malgré la variété des plans et des arguments, toutes insistent sur la nécessité pour les fidèles d’être de bon chrétiens dans la conduite privée, au foyer domestique et dans la vie publique. Monseigneur a comme passé en revue tous les devoirs essentiels du disciple de Jésus-Christ, devoirs que chacun doit observer pour n’être pas confondu avec les enfants du siècle et les esclaves du monde, mais que nul ne saurait bien remplir sans être uni à l’Eglise véritable et sans utiliser les moyens et les ressources que celle-ci met é la disposition de tous ses membres. Sanctification du dimanche, loi du travail, Association de la Sainte Famille, vie chrétienne par l’Eglise, culte des saints, témoignage à rendre à Jésus-Christ, Jubilé de l’année sainte, devoirs de l’heure présente, l’innocence des enfants, le premier et le dernier acte de la vie chrétienne, la vie de foi, l’autorité de l’Eglise, l’Eglise militante, l’esprit chrétien, la destinée de l’homme, etc., voilà les principales matières exposées avec simplicité et clarté, avec l’ampleur et abondance de remarques pratiques et de déductions pour le programme de l’action journalière.

Nous avouons volontiers que lire d’un trait cette vingtaine de Lettres, ce serait s’exposer à y surprendre plus d’une répétition. Mais à qui la faute ? A notre pauvre nature, qui se complait au milieu des mêmes dangers, qui joue avec les mêmes ennemis du salut, qui succombe tant de fois aux mêmes tentations. Quand des enfants rencontrent souvent les mêmes périls et les mêmes obstacles sur le chemin de la vérité et de la vertu, leur père est bien forcé de rappeler fréquemment les mêmes principes, de renouveler les mêmes exhortations et d’adresser les mêmes remontrances: Insta opportunè, importunè; argue, obsecra, increpa in omni patientiâ et doctrinâ (II Tim.,IV,2).

Mgr Deruaz le faisait toujours avec son coeur paternel en sorte que sa parole méritait le meilleur accueil et pouvait produire les meilleurs fruits de sanctification. N’en donnons qu’un seul exemple. Nous l’empruntons au dernier Mandement, signé quelques mois avant le paisible trépas. C’est aujourd’hui comme un accent d’outre tombe; c’était alors comme un dernier voeu, la suprême invitation d’un père désireux de retrouver au ciel tous ses enfants:

“Durant Nos longues heures de solitude, de méditation et de prière, Nos yeux presque éteints à la lumière du jour, Nous avons souvent éprouvé une immense consolation à tourner le regard de Notre âme du côté du ciel, à songer aux grâces et aux bienfaits que le chrétien puise dans la connaissance, l’amour et le service de Dieu. Oui, c’est pour avoir souvent pensé à Notre fin surnaturelle et divine que Nous avant jugé bon de vous faire souvenir de la vôtre. le guide qui veut conduire les voyageurs au sommet de la montagne ne doit-il pas d’abord leur en montrer la cime et leur en tracer le chemin ?”

X. Oeuvres diocésaines et institutions diverses.

Ce chapitre serait le plus long si nous devions redire en détails les mille témoignages de bienveillance donnés par Mgr Deruaz aux institutions si nombreuses du diocèse de Lausanne et Genève. La simple énumération de ces oeuvres variées remplirait plus d’une page, preuve frappante et comme mathématique de l’épanouissement et de l’extension de tant de fondations inspirées par la charité ou la piété. Qu’il nous suffise donc, pour rester dans des limites étroites, de noter quelques traits essentiels ou plus caractéristiques.

Notre catéchisme recommande “les oeuvres corporelles et spirituelles de miséricordes”. Notre évêque défunt était le premier à se conformer à ce conseil éminemment évangélique. Nous avons déjà parlé de son amour des pauvres. Ajoutons qu’à Fribourg comme à Lausanne il compatissait aux épreuves des membres souffrants de Jésus-Christ et que même, plus il était monté en dignité, mieux il ouvrait son coeur et sa bourse aux plaintes des indigents et des infirmes. De là sa bienveillance particulière envers les Conférences de Saint-Vincent de Paul, les Associations des Dames de charité, les Oeuvres de la Protection de la jeune fille, etc. De là aussi son empressement à donner l’exemple de la générosité, malgré la modicité de ses ressources, chaque fois qu’une catastrophe, incendie, inondation ou épidémie jetait dans la détresse quelques familles de son diocèse. De là encore ses efforts pour augmenter les bénéfices ecclésiastiques, non point dans le but de rendre les curés trop riches, mais pour les garantir contre les inconvénients de la misère et leur permettre de répandre quelques aumônes dans le sein des pauvres. Monseigneur insistait une dernière fois sur ce point dans sa Lettre pastorale du 9 février 1911: “Combien de prêtres, disait-il, voués aux soins des âmes dans le ministère paroissial, vivent presque dans la gêne et ne peuvent plus soulager comme il conviendrait tant de misères qui les entourent !”

Mais ici l’Oeuvre du Clergé de Genève mérite une mention spéciale. Mgr Mermillod l’avait fondé en 1874; son successeur et compatriote en connaissait depuis longtemps la rigoureuse nécessité. Affirmons donc bien haut, malgré toute la discrétion que notre évêque savait apporter dans l’exercice de la charité, qu’il s’inquiétait vivement de la déplorable situation matérielle que la crise du Culturkampf avait faite aux vaillants prêtres genevois. Découvrir chaque année des ressources suffisantes pour assurer un modeste traitement à plus de trente curés et é vingt vicaires, voilà, certes, une charge bien lourde, surtout quand le même état se prolonge et que les besoins ne font qu’augmenter. Aussi Mgr Deruaz ne pouvait-il manquer de tendre une main secourable aux catholiques de Genève, dont le noble attitude réjouissait son coeur paternel en même temps qu’elle provoquait les éloges de la presse et de l’opinion publique.

Soulager les pauvres, c’est bien, écarter les causes qui provoquent l’indigence, c’est mieux encore. Notre évêque pratiquait l’un de ces devoirs sans négliger l’autre. Il profitait de toutes les occasions pour encager le peuple à être laborieux et tempérant, double condition pour jouir de quelque aisance. Voilà pourquoi, même en dehors de toute considération d’un ordre plus élevé, il s’empressa d’approuver et de bénir la Ligue de la Croix. Il en parla dès le premier synode diocésain, puis, par une circulaire du 15 décembre 1892, il accepta le règlement qui venait d’être élaboré, nomma Mgr Savoy directeur spirituel diocésain et enfin exhorta tous les doyens et curés à propager une telle institution, “gage de paix, garantie d’honneur, de prospérité temporelle et de bonheur éternel”. Plus tard et jusqu’au soir de sa carrière, Sa Grandeur entoura de sa bienveillance cette entreprise si salutaire et accorda toujours ses bénédictions et ses encouragements au pèlerinage annuel à Notre-Dame des Marches, manifestation religieuse organisée par cette même Société. Aussi Mgr Savoy, qui précéda de quelque mois son évêque dans la tombe, eut-il la bonne inspiration d’instituer l’Evêché héritier de l’Oeuvre, bien certain qu’il ne pouvait la remettre en de meilleures mains pour lui faire imprimer un cachet diocésain.

Mais l’homme ne vit pas seulement de pain matériel: son intelligence réclame comme aliment une instruction au moins élémentaire. Ici encore Mgr Deruaz a montré sa sollicitude à l’égard d’un domaine si vaste et si important. Dans ses visites pastorales il parlait volontiers des écoles et des membres du corps enseignant, de même qu’il réservait une particulière sympathie à Hauterive, aux nombreux établissements d’instruction supérieure, à la Société fribourgeoise d’éducation, et surtout au Collège Saint-Michel, auquel il accordait tous les prêtres nécessaires. Il aimait à présider les cérémonies, inaugurations d’année scolaire ou concours de nos maisons d’enseignement, et il profitait de l’occasion pour rappeler aux professeurs, instituteurs ou institutrices la grandeur de leur mission et l’étendue de leurs devoirs.

Mais l’Université surtout était l’objet de ses voeux et de son attachement. Il l’honorait encore de quelques lignes émues dans sa lettre du 14 mai 1910, adressée au clergé et aux fidèles à la veille du soixantième anniversaire de son ordination sacerdotale: “Nous avons vu, disait-il, la grande Oeuvre de l’Université de Fribourg s’affermir et se développer d’année en année. Nous demandons à Dieu de prolonger assez notre existence pour que nous puissions assister à son couronnement et bénir, au déclin de notre vie, la Faculté de médecine destinée à soulager et à guérir les souffrances des pauvres malades, qui furent toujours, avec l’enfance, les privilégiés de notre coeur.”

A cette bienveillance spéciale l’Université a rendu officiellement hommage le 15 novembre dernier, en la séance solennelle d’ouverture des cours du semestre d’hiver. Dans cette circonstance, le R. P. Zapletal, recteur sortant de charge, s’est exprimé à peu près en ces termes: “Le vénéré évêque s’intéressait vivement à l’Université: il honorait chaque année de sa présence la cérémonie d’inauguration des cours; il encourageait les professeurs dans leurs travaux; il était non seulement leur ami, mais leur père. Aussi tous les professeurs et les élèves présents à Fribourg se sont-ils fait un devoir d’assister aux obsèques du regretté prélat.”

A ce même ordre d’idées on peu rattacher la collaboration de Monseigneur au Congrès des catholiques suisses tenu à Fribourg du 22 au 25 septembre 1906. Par une circulaire lue dans toutes les églises du diocèse, Sa Grandeur recommanda de participer à ces imposantes cérémonies où seraient discutées tant de graves questions qui intéressent la famille et l’école, la patrie et l’Eglise. On sait que cette invitation fut entendue et que très réussies furent les manifestations de notre peuple catholique.

Mais si le pain entretient la vie du corps et si la science est la nourriture de l’esprit, à l’âme il faut procurer la foi pour qu’elle soit chrétienne et vive d’une vie surnaturelle. Qu’est-il besoin de dire que notre évêque patronnait les institutions qui contribuent à consolider la foi ou à répandre au loin la semence de l’Evangile ? Contentons-nous de rappeler celles que mentionnait à la veille du carême chaque Lettre pastorale.

Voici l’Oeuvre de Saint-François de Sales “Pour la défense et la conservation de la foi dans les pays catholiques”. Fondée en France par Mgr de Ségur, elle fut rendue populaire dans nos contrées par le zèle de M. le chanoine Schorderet, et elle a bien mérité de la bonne cause par la diffusion des meilleurs organes de la presse catholique.

Voici l’Oeuvre de la Sainte-Enfance et celle de la Propagation de la Foi, toutes deux bien connues et si dignes d’être favorisées, puis celle des Aspirants au sacerdoce, si opportune aujourd’hui où le recrutement du clergé subit une sorte de crise. Aussi l’Evêque inquiet redisait-il chaque année à ses diocésains: “Que toutes les classes de la société s’honorent de donner des prêtres à Jésus-Christ; au moins qu’elles y concourent toutes par le tribut de leurs prières et de leurs aumônes.”

Mais nous devons réserver quelques lignes de plus à l’Oeuvre des Missions intérieures, de plus en plus indispensable en Suisse où presque tous les cantons sont ou deviennent mixtes. Mgr Deruaz en parlait en ces termes dans ses Mandements: “Nous désirons voir cette oeuvre apostolique s’organiser, fleurir et fructifier par le zèle de tous nos vénérés collaborateurs dans chaque paroisse, et même, autant que possible, dans chaque famille. Que chacun apporte donc son obole à cette oeuvre si avantageuse et si salutaire; c’est à elle que nous faisons appel pour les besoins si nombreux et si pressants de nos chapelles, de nos écoles, de nos presbytères. dans nos stations catholiques existantes ou à établir pour les catholiques disséminés au milieu de nos frères séparés.”



En s’exprimant ainsi, l’évêque avant les yeux fixés sur le travail déjà accompli et sur celui qu’imposerait l’avenir. Les vingt années de son épiscopat ont été marquées soit par le développement très considérable des anciennes paroisses mixtes, soit par l’érection de plusieurs nouvelles stations ou filiales. Même dans le canton de Fribourg, c’est de 1890 à 1911 qu’ont été fondées les paroisses de Bonnefontaine, Villarlod, Corserey, Seiry et Forel-Autavaux.

Mais c’est surtout dans les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel que l’on a constaté le progrès le plus réjouissant. Que l’on en juge d’après les indications suivantes puisées à bonne source. Genève même a vu s’organiser les paroisses de Saint-Antoine et de Sainte-Clotilde et s’édifier une chapelle pour les Allemands et une pour les Italiens, pendant qu’à la campagne se constituaient les paroisses de Vésenaz, La-Plaine, Petit-Lancy et Satigny et que les catholiques romains rentraient en possession de presque toutes les églises et cures confisquées par le schisme (il en fut ainsi é Choulex, commune d’origine de Mgr Deruaz, où l’église, prise le 4 octobre 1876, fut rendue le 29 mai 1897). Dans le canton de Vaud, notre évêque a rétabli ou bien consolidé notre culte à Founex, Saint-Cergues, Sainte-Croix, Vallorbe, Moudon, Orbe, Payerne, Caux, les Avants, Glion, Villeneuve, Château-dOex, Oron-Châtillens, Lucens et Renens; enfin, dans le canton de Neuchâtel, à Saint-Aubin, Noiraigue et Travers.

Félicitons aussi Monseigneur d’avoir été le promoteur de L’Oeuvre des Italiens, c’est-à-dire de l’organisation d’un véritable apostolat au milieu de ces légions d’étrangers qui travaillent en Suisse. Comme curé de Lausanne, il avait compris déjà la nécessité de s’intéresser particulièrement à ces pauvres ouvriers, d’ordinaire trop peu instruits et trop peu préparés pour vivre dans nos pays mixtes. Aussi, dès son premier voyage Ad limina (mars 1893), notre évêque eut soin d’en parler au Saint-Père, qui s’empressa de l’approuver et de l’encourager. Plusieurs membres de l’épiscopat d’Italie se réjouirent aussi de cette entreprise et accordèrent volontiers des prêtres pour évangéliser leurs compatriotes en Suisse, surtout dans nos principales villes protestantes. Dieu seul a vu tout le bien qu’a réalisé une telle institution et aussi tout le mal qu’elle a empêché, double résultat dont il faut attribuer à Mgr Deruaz le premier mérite.

Mais la conservation et aux progrès de la foi est intimement liée la pratique des exercices de dévotion. Ainsi le comprenait Mgr Deruaz, et c’est pourquoi il ne cessait de favoriser les institutions capables d’alimenter et développer l’esprit de piété. Qui ne connaît les principales, telles que l’Apostolat de la Prière, les Association d’enfants de Marie, les Congrégations de jeunes gens, le Tiers-Ordre ? De celui-ci il redisait dans son dernier Mandement: “Nous constatons avec joie que le Tiers-Ordre de Saint-François d’Assise se répand de plus en plus dans notre diocèse. De nombreuse Fraternités, tant d’hommes que de femmes, ont été établies depuis quelques années. A la suite du Souverain-Pontife, Nous exhortons vivement nos diocésains à entrer dans cette pieuse Institution qui procure, même aux simples fidèles et aux personnes du monde, de si précieux avantages, lorsqu’ils en observent les obligations.”

Ce qui réjouissait aussi le coeur paternel du Chef du diocèse, c’était l’amélioration du chant liturgique dans les églises, grâce aux intelligentes et dévouées sections de Sainte-Cécile. Après avoir tant travaillé lui-même dans le même but, comme curé et comme évêque, par le respect pour le culte divin et l’influence des offices religieux, il était bien qualifié pour réclamer la bienveillance de ses diocésains envers les Céciliennes en leur répétant fréquemment: “Nous exhortons vivement les fidèles qui le peuvent, à faire partie des sociétés de chant sacré établies dans leurs paroisses, et tous, en général, à contribuer par leur dévouement et leur générosité à la formation de nouvelles sections et au progrès constant de celles qui existent.”

Enfin, voici une société plus répandue que d’autres et dont l’activité se déploie en plusieurs domaines, mais toujours en vue de la religion et des âmes; c’est l’Association populaire catholique. Pour bien souligner l’intérêt que lui témoignait Mgr Deruaz, nous ne saurions mieux faire que de reproduire la partie principale de la circulaire envoyée par le comité central aux diverses sections dès le lendemain de la mort du pieux prélat:

“L’association populaire catholique suisse éprouve une tristesse profonde à cette nouvelle. C’est que Mgr Deruaz était plus qu’un de ses protecteurs. Il était un des fondateurs de notre oeuvre.

“C’est en 1889, dans la maison du curé de Lausanne et avec sa haute approbation, que fut fondée la Fédération catholique romande. Devenu évêque, Mgr Deruaz voua un intérêt particulier à ses travaux. Il voulut bien, en 1892, présider à Fribourg l’une de ses plus belles assemblées générales, et dès lors, à chaque occasion importante, il manifesta, non seulement par des encouragements publics, mais encore par des lettres privées, la sollicitude qu’il portait à son développement et à sa prospérité.

“Plus tard, en 1903, lorsque la Fédération romande fusionna avec l’Association suisse de Pie IX pour former une grande et unique Association populaire catholique suisse, Monseigneur Deruaz daigna approuver cette transformation et désigner son représentant particulier à notre Comité central. Il se réjouit en 1906 de la tenue à Fribourg du deuxième Congrès catholique suisse, que sa santé l’empêcha malheureusement de présider, et l’année dernière encore il suivit avec sympathie les travaux de la Semaine sociale, dont il avait soigneusement examiné le programme.

“Ces preuves de la paternelle bienveillance de Mgr Deruaz, et d’autres encore sont trop présentes à notre mémoire pour que les sections de l’Association populaire catholique suisse appartenant au diocèse de Lausanne et Genève ne tiennent pas à coeur de témoigner d’une manière éclatante leur reconnaissance et leur vénération.”

Ainsi, de quelque côté que l’on se tourne pour saluer les institutions les plus recommandables, partout on aperçoit l’intervention empressée et profitable de Mgr Deruaz, toujours content d’encourager et d’aider tout ce qui pouvait servir à améliorer le sort de ses enfants, à sanctifier les âmes, à honorer l’Eglise catholique en Suisse et à procurer la gloire de Dieu. Dans ce chapitre forcément abrégé et incomplet, bien des groupements ont été oubliés ou passés sous silence, mais nous pouvons du moins affirmer en finissant que toute association établie pour une noble cause a dû trouver auprès de Sa Grandeur sages conseils, précieuses lumières et paternelles bénédictions.

XI. Charité et humilité.

La bonne éducation reçue, les rapports nécessaires avec toutes les classes de la société, l’esprit de foi qui présidait aux mille détails de sa conduite, tout a contribué à former et à consolider en Mgr Deruaz un caractère doux et patient, aimable et sympathique. Il vivait lui-même sa devise: In viam pacis. C’est là un témoignage que lui rendront tous ceux qui l’ont observé et pratiqué. Sans doute, à l’égard des inconnus et des étrangers, son premier mouvement était celui de la réserve, surtout à Lausanne, ville de passage où les bonnes âmes sont exposées à être exploitées, mais envers quiconque méritait ou inspirait confiance il montrait toujours de l’intérêt et de la bienveillance. Ainsi le redisait un journal le matin même où toute une population assistait aux funérailles de l’évêque bien-aimé: “L’amabilité était l’ornement de sa vie, et il possédait à un degré bien rare le lustre de la bonté. Celui qui était si bon envers ceux qui étaient heureux était meilleur encore pour ceux qui souffraient, qui portaient le poids de l’indigence matérielle ou le fardeau souvent plus lourd des chagrins du coeur (Courrier de Genève du 30 septembre 1911).”

Tous les anciens paroissiens porteront sur ce point le même jugement. Beaucoup d’entre eux, individus et familles, étaient devenus ses amis. Aussi notre évêque en parlait-il volontiers, même après de longues années de séparation. Plus il avançait en âge, mieux il revoyait le passé. Ce qui survenait dans tel foyer, fêtes de joie ou journées de deuil, ce que faisait ou entreprenait telle personne dont il avait dû s’occuper autrefois, voilà ce qu’il désirait savoir, non par une vaine curiosité, mais pour donner à propos une marque d’affection. On aurait une belle collection de lettres, si l’on pouvait recueillir toutes celles, de félicitations ou de condoléances, qu’il a cru convenable d’écrire, même comme évêque, à l’occasion d’un mariage ou d’un baptême, d’une première communion ou d’un décès. De telles attentions si délicates, propres à produire un salutaire effet, rentraient dans son programme d’apostolat.

Il est superflu d’ajouter que, bon envers les gens du dehors, il l’était surtout envers ceux du dedans. Tous les vicaires qui liront ces lignes seront du même avis. Si un seul pensait autrement, celui-là devrait faire un examen de conscience. Notons bien que Mgr Deruaz était sensible au bon souvenir que lui conservaient ses anciens auxiliaires. Ceux-ci étaient presque les mieux accueillis d’entre tous les confrères qui fréquentaient jadis les presbytères de Lausanne. Lui-même leur a prouvé que la mémoire de son coeur était demeurée intacte: il a pensé à eux dans l’expression de ses dernières volontés. Mais que personne ne se permette de conclure de là qu’il en a fait des rentiers !

Tel il était comme curé avec son entourage, tel il fut comme évêque. Disons plutôt que l’aménité de sa nature se développa encore, car plus stables et plus utiles que des vicaires momentanés, les membres d’une maison épiscopale méritent aussi plus d’égards. Ainsi le comprenait Mgr Deruaz. Avec eux il a formé une vraie famille. Sachant estimer leurs talents et leur zèle, il les a intimement attachés à sa personne, à la mort seule a pu briser ici-bas les liens de cette touchante union. A son entrée au palis épiscopale il y a trouvé un vicaire général et un chancelier que déjà deux évêques avaient honorés de leur confiance: il les a maintenus é leur poste. Mgr Bovet, quoique le plus jeune, a été enlevé le premier à l’affection de son maître (25 janvier 1897). Mgr Pellerin, à travers trente années d’un labeur assidu, avait contracté des infirmités qui l’ont rendu plus digne encore de sympathie: le charitable prélat a donc voulu le garder jusqu’à la fin, et ces deux compagnons de travail au service de l’Eglise et du diocèse se sont promptement rejoints dans le repos de la tombe (2 novembre 1910-26 septembre 1911).

Pour remplacer ou aider ceux que frappaient la mort ou la maladie, Mgr Deruaz a su faire un choix excellent. Nous n’avons que deux noms à inscrire, précisément parce que notre évêque aimait à conserver ceux que sa connaissance des hommes avait jugé à propos d’appeler. Mgr Léonard Currat, nommé chancelier en février 1897, provicaire général en juillet 1909 et vicaire général le 6 novembre 1910, a reçu par le fait même des promotions le meilleur témoignage de satisfaction et de confiance de son vénéré Supérieur et il s’est efforcé jusqu’à la dernière heure de s’en rendre digne. M. l’abbé Charles Bègue, dont Monseigneur avait comme béni le berceau, les tendres années, les études et la vocation sacerdotale, a bien compris comment il devait agir en qualité de secrétaire particulier de Sa Grandeur (septembre 1905), puis comme chancelier épiscopal: autour du bon vieillard, du pieux évêque aveugle, il fut la personnification de la douceur, de la patience, de la délicatesse et dévouement filial. Vu les soins et les attentions que réclamait son état, ;Monseigneur ne pouvait mieux choisir: félicitons l’un d’avoir été si bien inspiré et l’autre d’avoir si bien correspondu.

Mais cette mansuétude de caractère l’évêque la manifestait non seulement dans son entourage habituel, mais aussi envers ses nombreux visiteurs. Doyens et curés, chanoines et vicaires, professeurs et chapelains, tous étaient bien accueillis, de même que les délégués des paroisses et les représentants de l’autorité civile. Avec toutes les classes de la société et tous les degrés de la hiérarchie, notre évêque savait être affable et complaisant. Sans doute, il ne faut point chercher la perfection absolue au milieu des faiblesses de la nature humaine. Que Mgr Deruaz ait pu se tromper, être trompé, faire des mécontents, cela était inévitable, mais affirmons, du moins, qu’il a constamment agi avec des intentions droites et dans les vues élevées.

Voilà ce que reconnaît l’honorable clergé séculier, en rapports plus fréquents avec la maison épiscopale. le clergé régulier ne saurait être d’une opinion différente, car couvents, instituts et congrégations, Pères, Frères et Soeurs en passage, tous ont été l’objet d’une grande bienveillance. C’était une consolation pour Sa Grandeur de visiter les divers communautés, de présider parfois à leurs fêtes religieuses ou scolaires, d’an constater, le bon esprit et la bonne marche, de reconnaître les services rendus et de leur prodiguer ses conseils et ses encouragements.

Ces mêmes sentiments il les témoignait aussi à tant d’inoffensifs proscrits que la haine sectaire a jetés sur les chemins de l’exil et sur la terre étrangère. Oui, Monseigneur s’est intéressé vivement aux victimes de l’intolérance et a contribué à leur rendre hospitalier le sol de la Suisse romande. C’est ainsi que plusieurs prêtres français et des congrégations religieuses ont pu s’établir chez nous et nous apporter le double tribut de leur activité et de leurs bons exemples. Aussi avons-nous trouvé dans leurs revues, dès le lendemain du décès de notre évêque, des accents de gratitude envers le compatissant prélat. Ne citons que les Annales de Notre-Dame du Sacré-Coeur, organe de la Petite-Oeuvre fondée par le pieux Père Vandel, l’ami de M. Deruaz, quand celui-ci était curé de Rolle et celui-là curé de Nyon: “Daigne le divin Coeur le réunir au ciel au Père vénéré dont il aimait à nous redire les beaux exemples de vertus sacerdotales que, même après tant d’années, il n’avait pu oublier. Il avait gardé envers lui une vénération profonde que trahissait son émotion chaque fois qu’il nous en parlait.”

Quoique moins connu dans la haute société et hors de son pays que son illustre prédécesseur, Mgr Deruaz recevait pourtant quelquefois la visite de personnages entourés d’une certaine célébrité. D’ordinaire, c’étaient des évêques ou même des cardinaux que des circonstances particulières attiraient à Fribourg, par exemple, le cardinal Foulon, archevêque de Lyon et primat des Gaules (14 juillet 1892), le cardinal Persico, capucin (août 1893), Mgr Bourne, archevêque de Westminster et aujourd’hui cardinal (19 janvier 1911), enfin le cardinal Maffi, archevêque de Pise (5 août 1911). Monseigneur entretenait aussi de bonnes relations avec des écrivains, tels Henry Bordeaux, et des illustrations politiques, comme le duc d’Aumale et le comte de Mun. Respectueux de tous les rangs et de tous les mérites, il savait manifester envers chacun les égards que réclamait le protocole des convenances.

Mais pour être si bienveillant envers le prochain Monseigneur devait cultiver l’humilité envers lui-même, car égoïsme et orgueil sont peu compatibles avec une sincère affabilité. Or, notre évêque aimait à s’oublier et à s’effacer. Prenant au sérieux le mot de l’Imitation: Ama nesciri, il ne cherchait ni à se produire sans nécessité ni à provoquer sur sa personne l’attention de la presse et de l’opinion publique. Comme curé de Lausanne, il répétait volontiers la maxime d’un de nos anciens prélats: Le bien ne fais pas de bruit, et le bruit ne fait pas de bien. Il exagérait même l’application de ce principe au point d’éprouver une répugnance invisible contre toute reproduction et exhibition de sa personne, car il s’estimait pas digne de passer à la postérité par l’intermédiaire des appareils photographiques. A Lausanne, confrères, amis et parents insistaient en vain pour avoir un portrait: il ne voulait point poser. Quand déjà la mitre était comme suspendue sur sa tête, il fallut recourir à la ruse.

pour obtenir à son insu un imparfait fac-simile. Une fois chef du diocèse, il dut se résigner et être comme au service d’une curiosité très légitime et de la piété filiale.

C’est sous l’influence de ce même sentiment de modestie qu’il s’efforça d’écarter toute manifestation populaire à l’occasion de son double jubilé sacerdotal. En 1900, un demi-siècle après le nomination de son ordination et celui de sa première mess (25 et 26 mai 1850), il fut sensible aux félicitations et aux voeux exprimés par le clergé, ainsi qu’à la séance littéraire organisée en son honneur par le Séminaire, mais il ne se prêta point à d’autres témoignages plus retentissants. Cette même réserve fut encore plus accentuée en 1910, lors des noces de diamant, malgré la rareté d’un pareil événement. Dès le mois de mars, il informa son diocèse que, désireux de passer dans la prière et le recueillement ces grandes journées de 60me anniversaire, il n’accepterait aucune démonstration extérieure et qu’il voulait leur imprimer un caractère exclusivement religieux. En conséquence, deux mois après, il adressa à ses diocésains une circulaire, datée du 14 mai, comme pour exécuter cette irrévocable décision en prescrivant les ponts suivants: sonnerie des cloches dans toutes les paroisses la veille au soir de la fête jubilaire, office solennel avec Te Deum en ce dimanche du 29 mai, oraison pour l’évêque à toutes les messes du 25 au 29 mai, enfin invitation aux fidèles à communier à ses intentions et pour les besoins du diocèse.

On observa scrupuleusement ce programme en sorte que les journées commémoratives de la prêtrise ne furent guère marquées que par des exercices de dévotion. Cependant l’humble vieillard ne put éviter ni quelques visites ni de nombreuses lettres et dépêches. Ces documents constituent un volumineux dossier, grandiose affirmation du respect général dont jouissait à bon droit Sa Grandeur. De toutes les pièces de cette collection si variée, la plus précieuse et la plus consolante pour le modeste prélat, ce fut une lettre du 21 mai, écrite par le pape lui-même, et, à ce titre, bien digne d’être reproduite intégralement dans cette notice:

A NOTRE VENERABLE FRERE JOSEPH,

Evêque de Lausanne et Genève, Fribourg.


PIE X, PAPE,


A Notre Vénérable Frère, Salut et Bénédiction apostolique.

C’est assurément une excellente pensée que vous avez eue, à l’approche du soixantième anniversaire de votre sacerdoce, de prescrire d’immortelles actions de grâces envers Dieu qui, par une assistance et un secours manifeste, vous a ménagé cette consolation dont le brillant éclat illumine votre vieillesse. C’est aussi avec raison que, jetant un regard sur le temps écoulé et passant en revue les dons et les bienfaits nombreux et signalés que Dieu vous a départis pendant le cours d’une si longue vie sacerdotale, vous avez senti combien vous devez de reconnaissance à la divine Bonté et vous avez fait appel à la piété de vos fidèles, afin de multiplier les prières publiques d’actions de grâces et de vous faciliter, par là, le devoir de la reconnaissance envers Dieu, en lui donnant une expression plus étendue et une manifestation plus efficace. Bien plus, Nous-mêmes qui, témoin de votre zèle et de votre activité pastorales, ne le cédons à personne dans l’affection et la vénération que Nous vous portons, Nous voulons être le premier à vous offrir le concours de Nos prières et à vous présenter Nos voeux. C’est pourquoi Nous vous souhaitons une riche abondance des grâces célestes, comme récompense des travaux que vous avez accomplis pour l’Eglise et comme stimulant pour travailler encore. Et comme gage des faveurs divines, Nous vous accordons et tout coeur pour vous, et pour le clergé et les fidèles de votre diocèse, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome près de Saint-Pierre, le 21 mai 1910, la septième année de Notre Pontificat.


PIE X, PAPE


Un tel témoignage, provenant du Pasteur suprême de l’Eglise universelle impressionna vivement l’humble jubilaire: plus que jamais il s’estima heureux d’avoir toujours été, envers le Siège apostolique, durant sa longue carrière sacerdotal, le plus obéissant des prêtres et le plus respectueux des évêques.

XII. Sens catholique.

Ce sens catholique - sentire cum Ecclesia - Mgr Deruaz le tenait de la grâce du baptême, de sa première formation au foyer paternel, de l’excellente éducation reçue durant ses années d’études, mais ce don si précieux il savait l’estimer et le cultiver. Il était catholique dans toute la force du terme. Que de fois, dans le silence de son coeur reconnaissant, il a dû répéter cette parole qu’un de ses intimes amis disait à haute voix dans un monologue sans soupçonner que les murs ont des oreilles: Mon Dieu ! je vous remercie de m’avoir fait catholique !

Mais cette harmonie parfaite de ses sentiments personnels avec l’esprit de l’Eglise romaine, comment la concilier avec les bons rapports qu’il entretenait, surtout à Lausanne, dans des milieux protestants ? - Mais d’abord parce que le vrai disciple de Jésus-Christ doit pratiquer une charité aussi large que possible envers les personnes, tout en condamnant les erreurs; ensuite, parce que de telles relations lui permettait de dissiper quelques préjugés et d’éclairer quelques âmes sincères; enfin, parce qu’il pouvait ainsi saisir sur le vif la mentalité de nos frères séparés et recevoir la confidence de plus d’un regret et de plus d’un aveu.

Sans insister sur cette dernière considération - car nous n’écrivons point un chapitre de polémique confessionnelle - on a des motifs de supposer que, mieux il découvrait le côté faible ou les lacunes de la Réforme, plus il s’attachait à la religion dont il était le ministre et surtout aux institutions ou pratiques qui caractérisent le catholicisme.

Arrêtons-nous à trois points seulement.

Tout d’abord, Mgr Deruaz avait le respect de l’autorité ou de la hiérarchie. Prêtre, il n’a jamais attristé le coeur de son évêque; évêque, il n’a jamais causé un ennui au Pontife Suprême. Très lié avec ses trois prédécesseurs, il a comme repassé à leur école les leçons du Séminaire sur les égards dus au Siège apostolique. Aussi les trois papes sous le règne desquels s’est écoulée sa carrière sacerdotale lui rendraient-ils tous le plus flatteur témoignage. Il avait vu Pie IX pendant le Concile, il en prononçait souvent l’éloge, il chanta pour le repos de son âme un office funèbre dès la première nouvelle de la mort et il en conservait avec une piété filiale un souvenir reçu de la main paternelle de l’auguste Vicaire de Jésus-Christ.

Avec Léon XIII, qui lui confia le siège épiscopale de Lausanne et Genève, il eut nécessairement encore plus de rapports. Ceci est même doublement vrai. D’abord, entre ces deux hommes de Dieu, frappante était les ressemblance physique. Voir l’un c’était presque voir l’autre. On était tenté d’oublier la différence d’âge et de situation pour n’apercevoir en tous deux que le même visage pâle, fin, émacié. Quand le pape recevait notre évêque en audience, il se plaisait à constater ces traits d’analogie, et beaucoup de prélats du Vatican se communiquaient la même remarque.

Mais Mgr Deruaz entretint surtout avec Léon XIII les touchantes relations d’un fils avec son père. Nous avons déjà dit les attentions dont il fut honoré en 1891 lors de son sacre à Rome. Plus tard, il eut plus d’une fois l’occasion de se prosterner devant le Chef suprême de l’Eglise. En 1893, il fit sa visite canonique ad limina et participa en même temps aux fêtes jubilaires de sa Sainteté, c’est-à-dire du triple anniversaire de sa naissance (2 mars 1810), de sa consécration épiscopale (19 février 1843) et de son couronnement (3 mars 1878). Le 3 mars, il présenta à Sa Sainteté l’offrande du Denier de Saint-Pierre et diverses adresses de son diocèse, et le pape se montra très affable et manifesta le désir de le revoir avant son départ. En effet, le 15 mars, Léon XIII le reçut de nouveau et lui causa dans l’intimité pendant plus d’une heure, ainsi que le raconte le Moniteur de Rome auquel nous empruntons les lignes suivantes:

“Léon XIII s’est enquis, en entrant dans beaucoup de détails, des oeuvres du diocèse, notamment du Séminaire et de l’Université, à laquelle il porte un intérêt particulier. Il a recommandé le jeune institut à la sollicitude de l’évêque, mais en déclarant approuver pleinement la décision, prise par son prédécesseur, de conserver le Séminaire, dont Sa Sainteté a parlé avec éloges. Le Saint-Père a ensuite longuement interrogé Mgr Deruaz sur la situation particulière de l’Eglise de Genève, exprimant son espoir que les catholiques de ce canton, si pleins de zèle et si méritants, puissent enfin, grâce à l’apaisement progressif des esprits, obtenir les réparations légitimes.”

Cinq ans plus tard, en 1898, se renouvelèrent les mêmes marques de piété filiale et de sollicitude paternelle. Le 22 mars, les deux vieillard eurent un long entretien sur les affaires de la chrétienté et principalement du diocèse de Lausanne et Genève. Avec les années qui passaient, ces mêmes sentiments ne firent que s’accentuer. D’une part, on put le constater en juillet 1902, quand le Saint-Père nomma Mgr Deruaz assistant du trône pontifical, c’est-à-dire membre de cette noble cour d’environ 136 patriarches, archevêques ou évêques qui forment le Presbyterium ou famille d’honneur du pape, jouissent de divers privilèges et portent le titre de comtes. D’autre part, notre évêque profita, l’année suivante, d’un événement exceptionnel dans les annales de l’Eglise pour redire son attachement au successeur de saint Pierre: le 25me anniversaire de l’élection de Léon XIII. le 20 février Monseigneur présenta ses hommages à Sa Sainteté en même temps qu’une offrande de 4,000 fr., comme témoignage de ses sentiments personnels et de ceux du diocèse envers le Chef vénéré de l’Eglise. Dès le 24 février, le pape le remerciait par une lettre affectueuse et bénissait le prélat, son clergé et les pieux fidèles. La semaine suivante, le 3 mars, jour anniversaire du couronnement, Monseigneur fut heureux de prendre part soit à l’office solennel célébré à Saint-Nicolas, soit à la séance académique donnée par le Collège Saint-Michel.

Ce fut là, pensons-nous, la dernière manifestation publique de ses sentiments envers l’auguste Vieillard du Vatican, car, peu de mois après, le 20 juillet. Léon XIII était enlevé à l’amour du l’univers catholique et au respect du monde civilisé. Mgr Deruaz eut soin de remplir un dernier devoir envers le regretté Pontife en ordonnant de chanter un office dans toutes les églises du diocèse.

Avec Pie X plus rares furent les relations, car quand l’humble patriarche de Venise monta sur la Chaire apostolique, déjà les infirmités empêchaient notre évêque de reprendre le chemin de Rome. Inutile d’ajouter qu’il fit parvenir au nouveau pape l’hommage de son profond dévouement et de sa filiale docilité. Aussi le bon Pontife ne négligea-t-il aucune occasion de lui affirmer son estime et sa bienveillance, ainsi que son contentement au sujet de la marche des affaires diocésaines, ce qui encouragea Monseigneur Deruaz, malgré l’âge et ses épreuves, à rester à la tête du peuple que la grâce du Saint-Siège lui avait confié.

Inscrivons encore deux remarques. Monseigneur montrait son attachement à Rome soit en signalant le Denier de Saint-Pierre à la veille de chaque carême, soit en parlant toujours respectueusement de la papauté. Dans les synodes et d’autres réunions ecclésiastiques, en plusieurs Mandements et dans les visites pastorales, il rappelait par ses exemples et ses avis avec quelle délicatesse et quels égards il convient de s’exprimer sur la personne et les actes du Vicaire de Jésus-Christ. Son esprit de foi lui dictait le meilleur langage, surtout à cette époque trop caractérisée par le penchant à la critique et aux jugements téméraires.

Mais voici un second domaine où apparaît bien le sens catholique de notre évêque: c’est celui des dévotions que provoque aisément la profession de notre Symbole. Nous ne voulons ni les passer en revue ni entrer dans de longs développements. Ne violons point le sanctuaire intime de l’âme et contentons-nous de souligner quelques manifestations du culte extérieur. Adorer Dieu, retourner souvent auprès de l’auguste Tabernacle, élever de fréquents regards vers la croix du Calvaire, invoquer les anges et les saints, voilà ce qui occupait une place d’honneur dans le programme de sa vie sacerdotale ou épiscopale. Mais parmi ces dévotions deux surtout méritent d’être bien notées dans ces pages.

D’abord, Mgr Deruaz aimait à implorer la protection du Bienheureux Canisius. Déjà nous en avons dit un mot à propos de ses angoisses à Lausanne. A Fribourg, dès 1893, il adressa une circulaire au clergé pour recommander le pèlerinage au tombeau de ce grand Serviteur de Dieu. Quatre ans plus tard, il profita d’une excellente occasion pour accentuer encore ce culte: celle du 3me centenaire de son glorieux trépas (1597-1897). Il s’efforça de rendre les fêtes très grandioses et lui-même y prit une large part, par exemple, en célébrant en plein air un office pontifical sous les yeux de 15,000 spectateurs (21 août) et en présidant la procession solennelle des reliques à travers les rues de la cité. Enfin, durant toute sa carrière dans notre ville, il entoura d’une sympathie particulière les oeuvres établies par le zèle de Mgr Kleiser et placées sous le patronage de P. Canisius; il contribua ainsi à propager la dévotion populaire envers ce providentiel gardien de la foi dans nos contrées.

Mais voici une institution bien caractéristique chez les catholiques et que ceux-ci tiennent à mettre en évidence surtout dans les pays mixtes: c’est le culte envers Marie. On peut affirmer que Mgr Deruaz l’a pratiqué avec un coeur filial depuis le berceau jusqu’au tombeau. Enfant, il aura été recommandé par sa pieuse mère à la bonté spéciale de la Sainte Vierge; étudiant, il avait sous les yeux les meilleurs exemples de piété envers la plus pure des créatures; jeune prêtre, il a pris aussitôt l’habitude d’invoquer souvent la Patronne du clergé; curé, il a eu soin de bien célébrer les fêtes en son honneur et de rendre plus attrayants les exercices du mois de Marie, surtout à Lausanne où la cathédrale qui domine la ville invite chacun à penser à Notre-Dame, comme on le faisait dans les siècles antérieurs à la Réforme. Mais laissons de côté ces temps lointains et ne regardons que la dernière période du ministère de Sa Grandeur.

Evêque, Mgr Deruaz eut plusieurs belles occasions de manifester ses sentiments envers l’auguste Mère de Dieu et des hommes: les fêtes de Fourvière, le Congrès marial de Fribourg, le 50me anniversaire de la définition de l’Immaculée Conception et le jubilé des apparitions de Lourdes.

En 1896 et en 1900, notre évêque se trouvait à Lyon pour les cérémonies de la bénédiction et consécration de la basilique de Fourvière. En cette dernière circonstance, il s’y rencontra avec trois cardinaux, trente-trois archevêques et évêques et près de 100,000 pèlerins, attirés aussi par le Congrès marial. Il en garda un souvenir ému et profond, gage de son adhésion empressée au projet de tenir une assemblée analogue dans sa ville épiscopale.

Elle eut lieu en 1905, du 18 au 21 août, et coïncida avec le 7me centenaire de la consécration de l’église de Notre-Dame, dédiée à la Vierge Immaculée. Pour ce motif, l’évêque adressa, le 7 juillet, une circulaire aux prêtres et aux fidèles pour les engager vivement à s’intéresser au congrès marial. Lui-même voulut bien en accepter la présidence d’honneur et recevoir plusieurs fois à l’Evêché le comité local placé sous la direction dévouée de Son Altesse le Prince Max de Saxe. Le 20 août, il eut la consolation de bénir la magnifique procession à la chapelle de Lorette et la splendide illumination de Fribourg, puis, le lendemain, en vertu d’un indult du Souverain Pontife, il couronna la statue de l’Immaculée Conception dans l’église de Notre-Dame. Ce fut le dernier acte de ces mémorables journées qui valurent à notre ville la présence d’une trentaine de prélats, de plusieurs orateurs distingués et de quelques milliers de pèlerins.

En souvenir de ces imposantes fêtes, Mgr Deruaz conféra le titre de Chanoine d’honneur de Notre-Dame de Fribourg à Mgr Laborde, évêque de Blois, et celui de Chapelain d’honneur à Mgr Guyot, directeur de la Voix de Marie, et à huit de ses collaborateurs. Depuis cette époque, il demeura le protecteur des Congrès marials sous le nom de président du Comité international. En 1906, il assista même, quoique déjà presque aveugle, à celui d’Einsiedeln. D’autre part, il affectionna de plus en plus l’église de Notre-Dame, dont il avait approuvé la restauration en 1896 et qui devait devenir sa dernière demeure.

En 1904, le monde catholique solennisa le 50me anniversaire de la définition dogmatique de l’Immaculée-Conception. Notre évêque s’en occupa activement. Dès le printemps fut nommé un comité diocésain dont il fut le président d’honneur et qui tint plusieurs séances au palais épiscopal. Il bénit les travaux historiques préparés pour cette circonstance, le pèlerinage national à Rome en octobre, la participation à l’Exposition mariale du Vatican et les missions données dans la plupart des paroisses. Par circulaire du 21 novembre, il félicita ses diocésains de leurs récents et nombreux témoignage de piété envers Marie et leur traça le programme des cérémonies du 8 décembre. Lui-même, en ce jour béni, assista à l’office chanté à Notre-Dame et présida, le soir, dans la collégiale de Saint-Nicolas, à l’imposant Salut organisé pour la consécration à la Vierge immaculée.

Enfin, en 1908, Mgr Deruaz a comme vécu les célèbres apparitions de Lourdes, survenues cinquante ans auparavant, presque au début de sa carrière sacerdotale. Désireux de bien se représenter les merveilleuses visions de Bernadette, il se faisait lire chaque chapitre de cette histoire rédigée d’après les dépositions des témoins et publiée dans la Semaine. Le pieux serviteur de Marie semblait trouver dans cette lecture un aliment nouveau pour son ardente dévotion. Ce qui est certain, c’est que, depuis cette époque, il fut plus empressé que jamais à multiplier ses invocations à Notre-Dame de Lourdes, é égrener plus souvent son chapelet, à s’unir d’intention aux pèlerins et enfin à introduire le nom de la divine Mère dans la formule de conclusion de ses lettres. On eût dit qu’il voulais s’entretenir plus fréquemment avec la Vierge immaculée à mesure qu’approchait le jour où, tous les voiles étant tombés, il verrait dans le ciel celle qui s’était montrée à une humble enfant dans la Grotte de Massabielle.

XIII. De deuil en deuil.

Plaignons les vieillards, car plus ils vivent plus ils sont seuls. La génération qui avait grandi avec eux disparaît, celle qui leur succède ne les connaît guère ou ne les comprend plus.

Dans la haute situation où ses mérites l’avaient élevé, Mgr Deruaz n’a pas trop expérimenté, grâce surtout aux délicates attentions de son entourage, les inconvénients du long hiver d’une carrière terrestre. Mais cependant pour lui aussi que de pertes survenues le long de la route ! Chaque année de son épiscopat a été marquée par des décès auxquels son coeur fut très sensible. On croit le voir comme retenu dans l’allée des tombeaux, tellement les deuils se sont suivis avec précipitation. Parents et amis, condisciples de collège et confrères de séminaire, presque tous l’ont précédé dans l’autre monde.

Loin de nous la pensée de dresser ici un nécrologue: un tel catalogue mortuaire n’est point nécessaire pour prouver que notre évêque a dû regretter ceux qui avaient tenu quelque place dans sa sollicitude et ses affections. Ne rappelons que les noms les mieux connus comme pour jalonner le sombre chemin du cimetière.

Dans sa propre famille, nombreuse et honorable, Monseigneur a vu la mort frapper à coups redoublés et lui ravir presque tous ceux qui se promettaient d’entourer de soins la vieillesse d’un parent si vénéré. Ne réveillons que le souvenir de M. l’abbé Métral, son cousin, son vicaire, puis son successeur à Lausanne, ajoutons même son homme de confiance et de prédilection, enlevé par un trépas prématuré et dont la dépouille mortelle a été arrosée des larmes de notre évêque (24 avril 1896).

D’entre les anciens condisciples si recommandables par la fidélité de leur amitié, on ne saurait oublier ni M. le chanoine Blanc, de Carouge, dont les fréquentes visites à Lausanne et à Fribourg étaient pour Mgr Deruaz la source des plus douces jouissances (8 août 1900), ni le P. R. Grandjux, longtemps supérieur du Collège d’Evian (décembre 1902).

Parmi les prêtres distingués ou particulièrement liés avec Sa Grandeur, nommons seulement, d’après l’ordre chronologique des décès, ceux que nos populations ont souvent remarqués dans les fêtes religieuses ou dans des exercices de missions ou de retraites: Mgr Piller, que tout le clergé a vu à l’oeuvre et qui n’a jamais dû avoir un ennemi (20 décembre 1893); - Mgr Favre, Révérendissime Prévôt de Saint-Nicolas et membre de la cour épiscopale, lui aussi un modèle d’amabilité (16 décembre 1897); - Mgr Chassot, ancien Vicaire général, le fidèle compagnon de l’exilé de Divonne (31 mai 1898); - M. l’archiprêtre Sautier, depuis 1859 curé de Choulex, paroisse natale de Mgr Deruaz, qui lui était vivement attaché et avait eu la consolation d’assister, le 27 décembre 1898, à la fête de son jubilé sacerdotal (14 octobre 1900); - le R.P. Joseph, l’ami des soldats et des orphelins, l’orateur toujours complaisant de toujours fécond (12 février 1901); - le R. P. Billet, directeur de la Maigrauge, grand fondateur de couvents et grand prédicateur de retraites (31 mars 1901); - Mgr Broquet, Vicaire général de Genève, l’un des auxiliaires les plus dévoués et les plus précieux du Chef du diocèse (15 juillet 1907); - Mgr Jeantet, rédacteur du Courrier de Genève, auteur de la Vie du cardinal Mermillod, champion infatigable de la bonne cause à travers de longue période des luttes confessionnelles (23 janvier 1911).

Notre évêque eut souvent aussi l’occasion d’adresser un dernier adieu à des prêtres associés à ses travaux et à ses préoccupations. Voici, par exemple, M. le doyen Comte, curé de Châtel-Saint-Denis (11 février 1907), et M le doyen Berset, curé de Neuchâtel (13 février 1909), tous deux anciens vicaires de Mgr Deruaz et tous deux liés avec lui depuis un demi-siècle. Voici encore Mgr Bovet, chancelier épiscopal sous trois évêques qui ont su apprécier ses mérites et son zèle (25 janvier 1897), et surtout Mgr Pellerin, Vicaire général du diocèse pendant trente ans (1880-2 novembre 1910). Vieillards et infirmes tous deux, Mgr Deruaz et Mgr Pellerin compatissaient l’un et l’autre et allégeaient ainsi le fardeau de leurs épreuves. Très touchante fut la dernière visite de l’évêque aveugle à son auxiliaire réduit à l’impuissance d’exprimer ses sentiments. Sa Grandeur lui a rendu hommage par une circulaire du 6 novembre 1910 adressée au clergé.

Rappelons encore un décès tragique qui impressionna fortement Mgr Deruaz: c’est celui de l’impératrice Elisabeth, lâchement assassinée à Genève le 10 septembre 1898. Monseigneur s’efforça de bien témoigner ses regrets et ses condoléances à l’empereur d’Autriche. C’est à la suite de ce drame qu’il fut nommé Commandant de l’Ordre équestre de Sa Majesté Apostolique l’empereur François-Joseph. Ainsi s’explique la présence, aux funérailles de notre évêque, de Son Excellence le ministre d’Autriche à Berne.

Ce qui dut aussi affliger Mgr Deruaz, ce fut de voir disparaître, en quelque années, tous ses collègues de l’épiscopat suisse, dont plusieurs, cependant, étaient moins âgés que lui-même: Mgr Jardinier, évêque de Sion, mourut le 26 février 1901; Mgr Molo, Administrateur du Tessin, le 15 mars 1904; Mgr Egger, évêque de Saint-Gall, le 12 mars 1906, Mgr Haas, évêque de Bâle et Lugano, le 14 mai de la même année; Mgr Paccolat, Abbé de Saint-Maurice, le 6 avril 1909, et enfin Mgr Battaglia, évêque de Coire, démissionna le 12 février 1908.

En dehors du cénacle des évêques de la Suisse, d’autres prélats, chers à Mgr Deruaz, ont aussi été l’objet de ses regrets. Il en fut ainsi soit de Mgr Philippe, originaire d’Annecy, mais bien connu dans nos contrées (16 avril 1904), soit de Mgr Hornstein, Jurassien, archevêque de Bucarest, au sacre duquel Mgr Deruaz avait assisté à Porrentruy, le 18 octobre 1896 (3 juin 1905).

Mais nous devons une mention spéciale à l’illustre cardinal Mermillod, dont l’histoire fut si mêlée à celle de notre évêque. Mgr Deruaz eut la douleur de le perdre dès l’aurore de son épiscopat, car il mourut à Rome le 23 février 1892. L’année précédente, après avoir visité plusieurs fois à Monthoux le vénéré malade, il l’avait recommandé aux prières de son diocèse par une circulaire du 8 octobre 1891. Dès la nouvelle de sa mort de celui qui avait été son consécrateur et son prédécesseur, il adressa une Lettre pastorale pour en proclamer les mérites et ordonner, pour le 3 mars, un service funèbre dans toutes les paroisses. Lui-même célébra un office solennel, le 5 mai, dans la collégiale de Saint-Nicolas, où l’oraison funèbre fut prononcée par Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, aujourd’hui cardinal.

XIV. Sur la voie douloureuse.

Chaque fois que le coup de la mort faisait une victime dans le cercle de ceux que Mgr Deruaz connaissait et aimait depuis si longtemps, le bon vieillard devait avoir comme une vision du prochain soir de sa propre carrière: Hodi mihi, cras tibi. A mesure, du reste, que les années s’écoulaient et que les infirmités s’accentuaient, il se sentait de plus en plus arraché à ce monde et poussé vers son éternité. Ayant cessé d’apercevoir le spectacle changeant des choses présentes et n’entendant qu’imparfaitement les bruits d’ici-bas, il vivait de l’intense vie de la foi dans des régions supérieures.

Pensait-il, jadis, parvenir à un âge bien avancé ? Ce n’est pas probable. A Lausanne déjà il n’était pas à l’abri des indispositions; il souffrait souvent de bronchites, il respirait parfois difficilement, et nous avons déjà dit que, pour écarter le fardeau de l’épiscopat, il avait renseigné Rome sur les faiblesses de sa santé. Sans doute, on ne savait comment l’analyser: tantôt il paraissait jouir d’une solide constitution, tantôt la moindre variation de température ou de régime suffisait pour l’ébranler. Ce qui est certain, c’est que, tout en se plaignant volontiers de ses malaises, il s’efforçait de les supporter courageusement, et même il ne les écoutait guère dès que sonnait l’heure d’accomplir un acte de son ministère.

Une fois évêque, il eut la possibilité de mieux se ménager et de mieux se soigner. Ainsi, en 1896, il passa même une partie du printemps à Cannes pour achever la guérison d’un gros rhume trop tenace.

En 1900, l’année même de son jubilé sacerdotal, il fut longtemps et sérieusement malade pour avoir affronté, malgré les chaleurs de l’été, les fatigues de trop nombreuses visites pastorales. La situation devint même si critique que l’entourage inquiet jugea à propos d’administrer le pieux évêque (26 juillet).

Les années suivantes s’écoulèrent plus paisiblement. Quand les forces diminuaient par suite d’une existence trop sédentaire et d’un hiver trop persévérant, Sa Grandeur s’en allait à Montreux, où la température plus douce de la contrée et toutes les attentions d’un presbytère si accueillant profitaient à la double vie du corps et de l’esprit. Rappelons que le pasteur du diocèse et le pasteur de cette paroisse, Mgr Deruaz et Mgr Grand, amis et compatriotes, n’ont pas été longtemps séparés: à 45 jours d’intervalle tous deux’ sen sont allés vers la maison hospitalière du ciel (26 septembre-12 novembre).

Mais ces dix dernières années n’en furent pas moins douloureuses pour le bon prélat. Il ne pouvait lutter ni contre la plus opiniâtre des maladies, la vieillesse, ni contre une bien pénible infirmité, la cécité. Se sentir devenir aveugle et se dire que le mal durera sans interruption jusqu’au dernier soupir, jusqu’au moment où les yeux s’ouvriront aux splendeurs de l’au-delà ! Ne plus savoir se diriger, même dans ses appartements, et devoir constamment recourir au bras complaisant d’un guide ! Se figure-t-on le poids d’une telle croix, surtout pour quelqu’un doué auparavant d’une vue excellente et se plaisant autrefois à promener ses regards sur les beautés de la nature et sur les mille petits riens qui passent et repassent dans le train ordinaire de la vie ? Quelle nuit interminable et quel tombeau prématuré ! Monseigneur ne trouvait consolation et soulagement que dans l’ardeur de sa foi et la ferveur de ses prières. Ne voyant plus autour de lui, il voyait plus loin et plus haut. Quelle source de mérites pour l’heure du jugement !

Mais voici la dernière année, celle de 1911, dont il connut l’aurore mais non le déclin. Elles ne fut guère pour lui qu’un combat entre la vie et la mort. En vain, il essaya encore un séjour à Montreux, où il resta du 18 mai au 22 juin, mais d’où il revint avec le pressentiment qu’ainsi étaient achevées sa dernière visite et sa dernière course. En vain, toutes les personnes de son entourage, ainsi que des membres de sa famille, rivalisèrent de dévouement pour retarder l’issue fatale. En vain, un jeune docteur, modèle de tact et de douceur, était-il jour et nuit à la disposition du bon vieillard: le cours des choses fut plus d’une fois comme contrarié et ralenti, mais jamais entièrement suspendu. Ainsi s’écoulèrent plusieurs mois avec des alternatives d’aggravation du mal et d’atténuation au moins apparente. Tantôt l’intelligence était comme endormie ou égarée, tantôt elle redevenait momentanément lucide; tantôt le malade s’agitait, tantôt il retombait, même pour plusieurs jours, dans un complet assoupissement.

Cette dernière et douloureuse période fut marquée par quelques incidents dignes d’être rappelés.

Le 16 avril, à l’occasion de la solennité de Pâques, Monseigneur voulut encore célébrer les saints Mystères; ce fut pour la dernière fois, 61 ans après le matin de sa première messe dite le 26 mai 1850. Nulle circonstance ne pouvait être meilleure pour solliciter du Christ vainqueur de la mort et du tombeau de nouvelles forces afin d’affronter l’inévitable duel dont parle la liturgie de cette fête: Mors et vita duello conflixere mirando (Prose Victimae paschali). Pour notre évêque, cette lutte fut plus longue qu’acharnée: la vie s’est retirée insensiblement, sans crise et sans secousse, et la mort ne pourra chanter qu’une victoire inachevée et passagère, car la meilleure partie de l’athlète a survécu et même sa dépouille périssable sortira plus tard triomphante du sépulcre.

Le 1er mai, comme le vénéré malade était en pleine connaissance mais que la faiblesse augmentait, il consentit volontiers à recevoir les derniers sacrements, et il eut alors quelques paroles bien touchantes pour ceux qui l’entouraient et l’assistaient. Le Saint-Père aussitôt informé de ce fait, se hâta d’envoyer sa bénédiction et d’exprimer ses voeux de guérison.

Le 5 août, le bon prélat eut la consolation de recevoir la visite à laquelle il fut bien sensible: celle du cardinal Maffi, archevêque de Pise. Combien ce fut émouvant de voir cet illustre Prince de l’Eglise se pencher vers le lit du malade et solliciter jusqu’à trois fois la bénédiction du vieillard !

Le 8 septembre, Sa Grandeur reçut pour la dernière fois la Sainte Hostie. Par une coïncidence bien remarquée, ce grand acte religieux s’est accompli le jour où l’Eglise honore la Nativité de la Sainte Vierge, fête titulaire de Notre-Dame de Lausanne, l’auguste objet de la dévotion particulière de Mgr Deruaz. Sans nul doute, la divine Mère aura recommandé à son adorable Fils un serviteur si fidèle, un prêtre si exemplaire, un pontife si vénérable.

A travers les trois semaines suivantes, le malade s’affaiblit de plus en plus, devint chaque jour plus étranger aux choses d’ici-bas et continua sa marche vers le tombeau, malgré des lueurs passagères d’intelligence et quelques signes trompeurs d’amélioration. Cette période d’affaiblissement se prolongea jusque dans la nuit du 26 au 27 septembre. Au matin de cette dernière date la ville apprit, avec plus de regrets que de surprise, que notre évêque avait expiré vers 11 1/2 heures, dans le calme absolu, sans nulle souffrance visible, presque à l’insu de son entourage. Selon sa devise, il y eut pour lui la paix jusque dans le trépas: In viam pacis.

XV. Vers la dernière demeure.

La triste nouvelle du décès fut annoncée officiellement au clergé par une circulaire du 27 septembre, que signèrent les deux vicaires généraux et qui donnait les directions nécessaires au sujet des prières à réciter, des messes à dire, de l’office à chanter dans toutes les églises, de la sonnerie des cloches dans tout le diocèse, pendant une demi-heure, la vieille des funérailles, et enfin de l’organisation des obsèques.

Depuis le jour du trépas jusqu’à celui de l’inhumation, nombreux furent les témoignages de condoléances qui affluèrent à l’Evêché: cartes, lettres et dépêches forment un lourd dossier. Nous ne citerons que le télégramme du Vatican:

Le Saint Père, profondément affligé par l’annonce de la mort de Mgr Deruaz, adresse à Dieu ses prières pour l’âme du vénéré défunt, et, comme consolation, accorde à tous ses enfants du diocèse de Lausanne et Genève la bénédiction apostolique.

Peu de jours après, décèsMgr Currat a reçu encore la lettre suivante du cardinal Merry del Val, Secrétaire d’Etat de Sa Sainteté:

“Le Souverain Pontife s’associe très particulièrement au deuil dans lequel est plongé le diocèse de Lausanne et Genève par la mort récente de votre vénérable Evêque, Mgr Joseph Deruaz.

Les détails si édifiants que nous donne votre lettre sur les derniers moments du pieux Prélat ont grandement consolé le Saint-Père, qui souhaite pouvoir donner bientôt à votre Eglise un nouveau Pasteur, digne héritier des vertus et des mérites du Père dont elle déplore la perte.

Sa Sainteté vous envoie de tout coeur, ainsi qu’au clergé et aux fidèles du diocèse, la Bénédiction apostolique.”

Dès le lendemain du décès, la dépouille mortelle a été exposée au palais épiscopal, dans le vestibule converti en chapelle ardente. C’est là, sur son lit de parade, que Monseigneur a reçu de nombreuses et touchantes manifestations de regrets exprimées par toutes les classes de la société. Beaucoup voulaient revoir une dernière fois les traits de l’évêque bien-aimé: la figure pâle, émaciée, était d’une merveilleuse sérénité; on eût dit que l’âme rayonnait encore au travers et l’illuminait doucement.

Mais nous voici au samedi 30 septembre: c’est la grande et lugubre journée des funérailles. Célébrées sous les regards de toute la population de Fribourg, des délégués de presque toutes les paroisses et institutions du pays, elle ont offert un caractère exceptionnel de majesté et de tristesse générale. Quoi de plus imposant que le défilé d’un long cortège avec bannières et musiques à travers les rues de la ville en deuil ? Parmi les théories qui le composaient on remarquait une cinquantaine de députés fribourgeois avec les diverses autorités cantonales, plus de 150 religieux et plus de 200 prêtre séculiers. Dans les rangs des personnages officiels on reconnaissait les délégués des gouvernements de Vaud et de Neuchâtel, tandis que celui de Genève avait dû se contenter, comme conséquence de la séparation des Eglises et de l’Etat, d’exprimer par écrit ses “sentiments de profond regret et de sympathie pour la mémoire d’un prélat qui a honoré son canton d’origine, Genève, par son esprit conciliant et tolérant et par ses tendances patriotiques.” Dans le groupe des dignitaires ecclésiastiques se trouvaient, entre autres, les prévôts de Lucerne, de Fribourg et du Saint-Bernard; Mgr Battaglia, ancien évêque de Coire et doyen de l’épiscopat suisse; Mgr Guinot de Boismenu, évêque de Gabala (Syrie); Mgr Stammler, évêque de Bâle et Lugano, lequel officia à Saint-Nicolas; Mgr Jaquet, Fribourgeois, archevêque de Salamine, et Mgr Abbet, évêque titulaire de Bathléem, Abbé de Saint-Maurice, lequel avait été nommé, la veille même, par décret de la Congrégation consistoriale, Administrateur apostolique de notre diocèse.

Après l’office funèbre célébré à la collégiale et les cinq absoutes chantées par les évêques, le cortège s’est reformé pour accompagner à son lieu de repos la dépouille mortelle du défunt. D’après la volonté même de Mgr Deruaz, l’inhumation s’est faite dans l’église de Notre-Dame, où une tombe avait été préparée au sommet de la nef principale. Sa Grandeur aimait ce sanctuaire, propriété de l’Evêché, soit parce qu’il est dédié à la Vierge Marie, soit parce qu’il lui rappelait l’inoubliable cathédrale de Lausanne. Aucune oraison funèbre ne fut prononcée: ainsi l’avait catégoriquement demandé l’humble prélat, mais son éloge était dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres.

Quelques jours après les funérailles on prit connaissance du testament. Dicté le 19 novembre 1907, il est remarquable par sa brièveté et sa simplicité. Monseigneur a institué l’Evêché héritier de ses modestes biens, puis il a légué 5,000 fr. au fonds de l’Hôpital cantonal de Fribourg, acheminement probable vers la Faculté de médecine, pour donner ainsi un dernier gage de sa bienveillance envers l’Université et une dernière marque de sympathie envers les membres souffrants de Jésus-Christ, après avoir été lui-même si longtemps retenu à l’école des tribulations et des infirmités. Dans sa séance du 23 décembre, le Conseil d’Etat a pris officiellement connaissance de ce legs et l’a accepté avec gratitude.

Et maintenant, en traçant les dernières lignes de cette biographie, remercions Dieu, une fois de plus, d’avoir donné à notre diocèse un pasteur si dévoué, un guide si sage et si prudent, puis, à celui qui a conduit son peuple dans les sentiers de la paix: In viam pacis, souhaitons le paisible repos de la tombe dans cet antique sanctuaire de Notre-Dame, de la Vierge Immaculée protectrice de Fribourg et de l’Eglise de Lausanne et Genève, dans cet édifice sacré où prêtres et fidèles retourneront souvent et prieront auprès de la froide pierre sépulcrale qui cache la dépouille d’un pontife si vénéré: Requiescat in pace !

La pierre sépulcrale portera l’épitaphe suivante composée, à la demande de Mgr Bovet, par M. le Supérieur du Séminaire, l’un des anciens vicaires et confidents de l’évêque défunt:

HEIC IN PACE CHRISTI QUIESCIT
JOSEPHUS DERUAZ
EPISCOPUS
QUEM OB DIUTURNUM BERUM USUM
AC PROBATAM PRUDENTIAM
IN REGENDA PAROCHIA LAUSANNENSI
LEO XIII PONT. MAX.
AD SEDEM LAUSANNENSEM ET GENEVENSEM
EVEXIT
PRID. ID. MART. AN. MDCCCXCI
VIR FUIT PIETATE MODESTIA CONSILII FIRMITATE INSIGNIS
PERPETUUS PACIS AC CONCORDIAE AUCTOR
GRAVI INFIRMITATE CONFECTUS
OBIIT VI. KAL. OCT. AN. MCMXI
VIXIT AN. LXXXV
ORATE PRO EO

Voici le sens de cette inscription: Ici repose dans la paix du Christ, Joseph Deruaz, Evêque, que Léon XIII, Souverain Pontife, en considération d’un long ministère et d’une prudence éprouvée dans l’administration de la paroisse de Lausanne, a élevé sur le siège de Lausanne et Genève la veille des îdes de mars de l’an 1891. Remarquable par sa piété, son humilité et la fermeté de ses directions, apôtre constant de la paix et de la concorde, accablé par une grave maladie, il mourut le 6 des calendes d’octobre de l’an 1911, après avoir vécu 85 ans. Priez pour lui.